
À la question : « Avez-vous toujours compris l’œuvre de Godard ? », la journaliste Laure Adler brandit sa meilleure réponse : « Non, mais je n’ai jamais cessé de vouloir comprendre son travail. » On est en septembre 2022, Jean-Luc Godard vient de mourir, après avoir enclenché une procédure de suicide assisté en Suisse. Le documentaire s’ouvre sur cette nécrologie collective – journalistes, reportages TV lui rendent hommage dans le monde entier -, mais l’histoire de « Scénario » n’est pas un hommage figé. C’est le portrait vivace d’un artiste qui a fait du work in progress, de la rupture et de l’esquisse un vrai geste de cinéma, parfois obscur, toujours passionnant. Et qui a voulu le prolonger jusque dans sa mort.
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L’Histoire de « Scénario » est un diptyque, composé d’un premier segment dans lequel on suit Godard lors de la préparation de son projet de film, Scénario, proposé à la chaîne Arte quelques mois après la sortie du Livre d’image, en 2018. C’est un petit laboratoire artisanal, où la présence de Godard est réduite à une métonymie : ses mains calleuses, qui manipulent un carnet de notes, tournent les pages, dansent et agencent une signification, coupent des morceaux de papier, faisant référence à la pellicule d’un film qu’on manipulerait au montage. Comme un retour aux origines archaïques du cinéma.
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Le second segment est composé du film lui-même, essai cubiste, hétérogène, où se heurtent des bribes de peinture, des photogrammes de films, des images télévision… Un capharnaüm d’idées qui renvoient aux questionnements philosophiques dont Godard s’est toujours fait le penseur : comment le sens d’une image s’infléchit-t-elle selon ce qui la précède et la suit, comment le montage se fait langage ? Cet ultime film est d’autant plus touchant qu’il dissimule un geste collectif. Jean-Luc Godard est décédé avant de l’achever, et a donné des indications précises à ses collaborateurs de longue date, Jean-Paul Battaggia, Fabrice Aragno et Nicole Brenez.
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Ensemble, ils ont reproduit la sève godardienne : un habile système citationnel, où se confondent Jean Cocteau, Francis Bacon, Merleau-Ponty, un art de la superposition, de la surimpression, voué à conserver, comme un palimpseste, toutes les techniques du cinéma.
Il faudra attendre le dernier plan du film, bouleversant, pour voir le visage de Godard. La veille de son suicide, le cinéaste a autorisé Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia à le filmer sur son lit, en train de relire ses notes et de citer Sartre. Dans un ultime regard-caméra espiègle, le cinéaste semble nous dire qu’il a accompli son destin : partir au milieu des images de cinéma, dans un déluge de films.
Le film est disponible jusqu’au 1er décembre sur le site d’Arte.