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  • Cannes 2021
  • Critique
  • Article
  • 5 min

« Annette », le conte musical hanté de Leos Carax est à revoir sur Arte

  • Quentin Grosset
  • 2021-07-06

Musique pop des Sparks, casting glamour… « Annette » se défait progressivement de ses atours pailletés pour servir un musical lyrique et hanté sur l’exploitation et l’innocence dévoyée. A revoir sur Arte en ce moment, à l'occasion du 76e Festival de Cannes.

Annette de Leos Carax

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Ce film a remporté le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2021. Il a également remporté le César, la meilleure musique, la meilleure réalisation des meilleurs effets visuels, le meilleur montage, le meilleur son aux César 2022.

« So… May we start ? » C’est Leos Carax lui-même qui, au début de son film, lance les festivités. Après l’annulation du festival de Cannes l’année dernière, et les presque dix ans d’attente pour voir un nouveau film du cinéaste, Annette s’avance comme le parfait film d’ouverture, et plus que ça, du recommencement. Carax a toujours su se réinventer, au moins autant que Monsieur Oscar, héros de Holy Motors, qui changeait de vie, d’identité, selon là où le menait sa limousine.

Nouvelle escale donc avec ce film qui est le plus limpide, le plus généreux de sa filmo, mais pas le moins risqué. Lui qui a toujours embrassé les tournages comme des aventures (celui des Amants du Pont neuf est resté dans les mémoires pour avoir été plusieurs fois interrompu, Denis Lavant s’étant blessé, le budget ayant été largement dépassé, trois producteurs différents s’étant relayés…) en a bien entamé une nouvelle. Son pari est cette fois celui de la tragédie « en chantée » et tout en artifice, terrain déjà défriché par Jacques Demy dans son grandiose Une chambre en ville.

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Carax n’a pas écrit le scénario d’Annette, ni la musique : on les doit au groupe pop culte les Sparks, dont le cinéaste écoutait les albums quand il était ado. Après que le cinéaste a utilisé une de leur musique dans Holy Motors, les Sparks lui ont parlé d’un projet d’album qui deviendra cette sublime fresque sur une cantatrice d’opéra (Marion Cotillard) et un acteur de stand up (Adam Driver) dont l’enfant, Annette, va malgré elle se trouver sous le feu des projecteurs. Un moyen d’en parler sans en déflorer l’intrigue riche en rebondissements serait de citer pêle-mêle ces histoires âpres et ténébreuses qui hantent le film : Britney Spears et son père, Louis CK, Marie Trintignant, Harvey Weinstein…Soit un télescopage vertigineux de ce que le showbiz contemporain peut créer de masculinité toxique, d’exploitation mortifère, d’extrême violence.

Dans une mise en scène placée sous le signe de l’illusion, par laquelle on ne distingue plus ce qui appartient à la vie, à la scène, ou aux limbes, l’esthétique très papier glacé s’y avance sans volonté ironique ou satirique - même si le film n’est pas dénué d’humour. Ce parti-pris de l’artifice s’accompagne plutôt d’ambiguïté, comme une caisse de résonance séduisante mais retorse à la noirceur. C’est le jeu opératique, outré, de Cotillard, ou celui intense et sensuel d’Adam Driver, sertis dans une narration toute en morceaux de bravoure que sont les chansons.

En relatant le dévoiement de l’innocence d’Annette à cause de ses parents, Carax invente un tour de passe-passe (on ne le dévoilera pas) qui ressemble beaucoup à ce qu’avait fait Todd Haynes dans son premier long, Superstar (1987), faisant incarner ses personnages par des Barbie, allusion à la manipulation subie par les corps mis en spectacle. Tirant les ficelles jamais là où on l’attend, Carax suit alors la lente émancipation d’Annette. Et bizarrement, elle n’a lieu qu’au moment où, hébétés, perdus, on sort vraiment du rêve et du conte.

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