
Chez Quentin Dupieux, tout commence par un infime déraillement, avant la bascule vers un chaos déraisonnable. L’ouverture de L’Accident de piano est de cette trempe. Sur une route enneigée, Magalie (Adèle Exarchopoulos), star des réseaux sociaux, et son assistant (Jérôme Commandeur, patibulaire) percutent un aigle. L’oiseau de mauvais augure annonce la catastrophe. Magalie sera bientôt victime de chantage de la part d’une journaliste people (Sandrine Kiberlain) qui a eu vent d’un accident sur l’un de ses tournages et réclame à la jeune femme une interview, en échange de son silence.
Tordu, inconfortable, L’Accident de piano est un traité narquois sur le fan obsessionnel qui sommeille en chacun de nous. Quentin Dupieux y épingle la fabrique de la star comme dieu moderne, l’idolâtrie pathologique. Il offre surtout à Adèle Exarchopoulos un numéro de freak délectable. Nerd attardée, affublée d’un appareil dentaire grotesque, Magalie incarne le voyeurisme et la léthargie de l’époque, avide de sensationnalisme. Atteinte d’une maladie qui la rend insensible à la douleur, l’influenceuse a percé en postant des vidéos d’elle en train de se mutiler, son corps devenant littéralement de la chair à canon pour Internet.
Derrière cette figure bouffonne, qui refuse de commenter son œuvre radicale et masochiste, on devine un autoportrait caché de Dupieux lui-même – l’an dernier, le cinéaste avait refusé toute promotion autour du Deuxième Acte. Le film brouille alors sa morale, change son fusil d’épaule : ce ne sont plus les stars mais bien les journalistes, pseudo-psychanalystes gonflés d’ego, persuadés de sonder l’âme des artistes qu’ils interviewent, qui en prennent pour leur grade.
Personne ne sortira indemne de ce joyeux carnage. Et rarement Dupieux aura, avec une partition aussi ambiguë et un sens de l’écriture aussi versatile, si bien exploré les tréfonds de la célébrité.
L’Accident de piano de Quentin Dupieux, Diaphana (1 h 28), sortie le 2 juillet.