Karin Viard : « J’ai un lien très fort avec la figure du monstre »

[INTERVIEW] En 30 ans de carrière, Karin Viard a toujours navigué entre rôles populaires (La Famille Bélier) et une irrésistible aisance à jouer des personnages troublants d’ambiguïté (Chanson douce, Une nuit). Invitée d’honneur au Festival des Arcs, dont l’édition 2024 se déroule jusqu’au 21 décembre, l’actrice s’est prêtée avec générosité et profondeur à notre questionnaire cinéphile.


Karin Viard au Festival des Arcs en décembre 2024
Karine Viard au Festival des Arcs en décembre 2024

3 personnages de fiction pour vous décrire.

Le personnage de Julia Roberts dans Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh, pour mon côté combattif. Je pourrais être une des filles du quatuor dans Mes meilleures amies de Paul Feig [jouées par Kristen Wiig, Melissa McCarthy, Rose Byrne et Maya Rudolph, ndlr]. Parce que j’ai beaucoup de copines, et qu’on peut être assez marrantes. Et pour le dernier, je cherche l’histoire d’une petite fille ou d’un petit garçon qui serait tout seul, sans famille et ferait un peu chialer comme ça… Qu’est-ce que ça pourrait être ? Je ne trouve pas.

Un film culte dont vous ne vous lassez pas ?

Elephant Man de David Lynch, qui me bouleverse, me fait complètement chialer. C’est un film qui m’ouvre le cœur, me ravage à chaque fois. C’est comme la chanson de Léo Ferré, Avec le temps. Ca doit me parler très profondément, intimement. J’adore la forme du film, ce qu’il raconte, son sens, du premier au dernier plan.

Je pense que ça vient du fait que le film parler de l’altérité rejetée. J’ai voulu être actrice après avoir vu Notre-Dame de Paris de Jean Delannoy, avec Anthony Queen, qui joue Quasimodo. Ce monstre dont personne ne veut, dont personne ne voit l’âme, car tout le monde s’arrête à son physique et veut le tuer… Cela m’a tellement fait pleurer, fantasmer, j’ai tellement voulu le défendre, assise sur mon fauteuil…

Il a explosé les murs de mon existence. Je me suis dit : « Je dois faire comme lui, donner cette émotion-là aux gens, comme il me l’a donnée à moi, petite fille ». Avec Elephant Man, j’ai rencontré une émotion parfaitement similaire. C’est un film merveilleux, qui te fait rencontrer ton humanité. Quand je le vois, je suis adulte, j’ai la même sensation que devant Notre-Dame de Paris.

Cette figure du monstre, je m’y retrouve de façon plus ou moins inconsciente, très intime. Ayant été larguée par mes parents, j’ai du me sentir monstrueuse car ils n’ont pas voulu me garder. J’ai un lien très fort avec la figure du monstre, elle provoque une réaction très vive chez moi.

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3 actrices qui vous inspirée ?

Quand j’étais jeune, Katharine Hepburn. Dans ce monde hollywoodien, elle cassait les codes, était tout le temps en pantalon. Elle était très belle, en même temps elle n’en faisait pas des caisses. Elle pouvait passer du drame à la comédie. Je la trouvais dingue, libre, joyeuse.

Après, j’ai beaucoup aimé Meryl Streep dans Kramer contre Kramer. Elle ne se regarde pas être, elle est, elle va. J’adore Kate Winslet, Cate Blanchett. Julianne Moore aussi. Je me souviens l’avoir découverte dans cette scène où elle est à poil, elle a un juste un tee-shirt d’où déborde son sexe roux, et elle continue à jouer dans une scène de ménage dingue [dans Short Cuts de Robert Altman, où elle joue une artiste en pleine crise conjugal, ndlr].

Je suis aussi fan de Frances McDormand, de la façon dont elle assume et joue avec son physique. Bien sûr, Gena Rowlands chez John Cassavetes, qui ne s’excuse pas d’être qui elles sont dans un monde d’hommes.

Toutes ces femmes tirent leur beauté d’une féminité totalement assumée. Ce ne sont pas des petits oiseaux, avec un vibrato fragile, ce que je trouve toujours un peu rasoir et fake. J’aime les femmes fortes qui peuvent jouer des femmes fragiles. Car on porte tous une part de puissance et de fragilité. Mais en tant qu’actrice, je trouve bien de porter une image de femme qui s’assume. C’est ça être féministe, quand on est actrice, selon moi.

Vos 3 films coups de cœur de l’année 2024 ?

J’ai beaucoup aimé Les Barbares de Julie Delpy. C’est drôle, savoureux, assez gonflé. Le niveau d’humour est osé, chouette.

Mais le film qui m’a vraiment impactée, c’est L’Histoire de Souleymane. de Boris Lojkine. C’est formidable, exceptionnel, ça vaut tout les discours. La mise en scène, le sujet, l’interprétation, tout est parfait. Tu sens une cohérence, qui fait de cette histoire très concrète un grand film, majeur, qui dénonce beaucoup de choses uniquement par les moyens du cinéma. Et je m’arrête sur celui-ci parce qu’il m’a profondément marquée.

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3 réalisatrices avec lesquelles vous aimeriez travailler ?

Jane Campion, même si je pense que ça n’arrivera jamais. En France, j’ai travaillé avec plusieurs réalisatrices, et je pourrais collaborer à nouveau avec plusieurs d’entre elles : Catherine Corsini, Carine Tardieu…

Je viens de faire un film avec Mélisa Godet, La Maison de femme, j’ai beaucoup aimé l’expérience. J’ai tourné avec beaucoup de femmes, et j’aime ça. Ce n’est pas forcément parce que c’est différent d’avec les hommes – car à mon endroit, il s’agit toujours de s’adapter à quelqu’un, au désir d’un ou d’une autre. On veut toujours plaire au metteur en scène, faire ce qu’il attend de toi, même s’il attend qu’on soit libre, qu’on fasse des propositions.

Ce processus n’a pas de sexe, n’est pas genré. Par contre, avec les réalisatrices, on est moins dans une image de la femme un peu fantasmée. Tout se joue au niveau de l’écriture des rôles. Les femmes écrivent des personnages féminins plus réels, plus audacieux, moins figés dans une image de séduction. Ce qui permet d’être libre. En même temps, je refuse d’essentialiser le regard d’un ou d’une cinéaste – ce ne serait pas juste. Il m’est arrivé d’être contrainte par des femmes, et d’être follement regardée par des réalisateurs, qui m’ont donné des ailes, un libre-arbitre. J’ai été adorée par des hommes, adorée par des femmes, détestée par des hommes, détestée par des femmes. Il s’agit toujours d’une rencontre singulière.

Une réplique de film fétiche ?

« Sur un malentendu, ça peut marcher » – c’est Jean-Claude Dusse en Michel Blanc dans Les Bronzés font du ski.