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« Juliette au printemps » de Blandine Lenoir : un bouleversant geste de tendresse

  • Sarah Jeanjeau
  • 2024-06-07

[CRITIQUE] Après « Annie colère » (2022), puissant éloge de la sororité et de la joie militante, Blandine Lenoir adapte le très beau roman graphique de l’autrice Camille Jourdy. Une histoire de fantômes et de famille, portée par l’interprétation délicate d’Izïa Higelin.

Quatrième long métrage de la réalisatrice Blandine Lenoir, Juliette au printemps est le fruit de la réjouissante rencontre entre l’univers prodigieusement sensible de la cinéaste et les personnages hauts en couleur croqués par l’illustratrice Camille Jourdy dans la bande dessinée Juliette. Les fantômes reviennent au printemps (Actes Sud BD, 2016). Soit l’histoire de Juliette (l’actrice et musicienne Izïa Higelin, dans un étonnant contre-emploi), illustratrice pour enfants, alors qu’elle retourne auprès de sa famille dans le village de son enfance, dans l’espoir de remettre un peu d’ordre dans son esprit suffocant.

Comme dans Annie colère, son précédent long métrage, Blandine Lenoir transforme la trajectoire intime de son héroïne en un bouleversant parcours collectif, et adopte une structure quasi chorale pour révéler les liens qui unissent cette famille – certes dysfonctionnelle, mais débordante d’amour.

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Le père si pudique qu'il ne s'exprime qu'en blagues (Jean-Pierre Darroussin, qu’on n’avait jamais vu aussi touchant), la sœur accablée par la charge mentale et l’envie d’être ailleurs (Sophie Guillemin), la mère artiste fantasque et amoureuse transie (Noémie Lvovsky), la grand-mère adorée (Liliane Rovère) et son locataire mélancolique (Salif Cissé)…

En s’engouffrant dans leur solitude et leurs silences, le film évoque la manière dont les traumatismes non résolus engendrent presque toujours des adultes incomplets, comme empêchés par leur incapacité à communiquer. Extrêmement touchant, Juliette au printemps sait trouver des respirations dans ses étonnantes saillies burlesques (dont un savoureux running gag impliquant un chat), mais aussi – et surtout – dans la tendresse infinie qu’il porte à ses personnages imparfaits. Là réside toute la magie du regard de cinéaste de Blandine Lenoir, qui, de film en film, n’a jamais cessé de considérer la tendresse comme un véritable geste politique.

Trois questions à Blandine Lenoir :

Comment est né le désir d’adapter la bande dessinée de Camille Jourdy ?

C’est un désir qui remonte à ma découverte de Rosalie Blum (2016), dont les droits avaient malheureusement déjà été acquis. Quand j’ai lu Juliette. Les fantômes reviennent au printemps, j’y ai retrouvé sa capacité à dessiner – au propre comme au figuré – les personnages avec beaucoup d’humanité et de fantaisie.

Izïa Higelin incarne Juliette, un rôle aux antipodes de sa personnalité…

Juliette est comme arrêtée dans l’enfance, elle n’a pas commencé sa vie parce qu’elle ne sait pas comment le faire. Pourtant, la vie est là, prête à bondir. Il me fallait une actrice qui possède cette énergie très visible, même si elle ne s’exprime pas de façon frontale. Izïa a un visage juvénile, presque adolescent. Je trouvais intéressant qu’une trentenaire ait encore les marques de l’enfance sur elle, comme si son visage racontait à sa place l’épreuve qu’elle traverse.

Pourquoi avoir choisi de faire du personnage une illustratrice jeunesse ?

En passant du temps avec Camille, j’ai pu observer le mouvement de sa main qui dessine. C’est un geste fascinant, et finalement assez rare au cinéma. C’était une manière de l’inviter dans mon film. D’ailleurs, dans la bande dessinée, Juliette n’a pas de métier. Le fait d’en faire une illustratrice, ça raconte aussi quelque chose de sa solitude.

Juliette au printemps de Blandine Lenoir, Diaphana (1 h 36), sortie le 12 juin

Image : © Carole Bethuel

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