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CANNES 2024 · « Moi aussi » de Judith Godrèche : haut les corps

  • Léa André-Sarreau
  • 2024-05-15

[CRITIQUE] À contre-courant du film-manifeste, l’actrice-réalisatrice choisit une forme quasi muette, tirant vers l’abstraction dansée, pour dénoncer dans un doux court métrage la parole entravée des victimes de violence sexuelles. Le film est présenté lors de la cérémonie d’ouverture d’Un Certain Regard, et sera dispoligne en ligne prochainement sur FranceTV.

Le court métrage de Judith Godrèche s’ouvre dans le noir total, un gouffre d’où émerge des sons indistincts. Peu à peu, ce vortex visuel se transforme en vagues, puis en iris d’œil. Un dézoom nous apprend qu’il appartient à une jeune fille (Tess Barthélemy, fille de Judith Godrèche, héroïne de sa série Icon of French Cinema), qui serpente au milieu d’une foule anonyme. Les bruits chaotiques sont désormais de francs murmures.

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Toute la trajectoire du court métrage Moi aussi – traduction du hashtag américain MeToo – est contenue dans ce prologue contemplatif, métaphore de la parole féminine enfin libérée. D’abord néantisée, indistincte, isolée, cette parole renaît, s’organise collectivement, pour ne devenir qu’un seul corps.

Au sens propre du terme : pour ce projet, Judith Godrèche a réuni plus de 800 personnes à Paris, toutes victimes de violences sexuelles et sexistes, qui l’ont contactée par mail suite à son appel à témoignages. Elles (et ils, même s’ils sont plus rares) forment une vague humaine, prête à déferler sur le monde – peut-être celle dont parlait Judith Godrèche lors de la dernière cérémonie des Césars en février dernier (« Après tout, moi aussi, je suis une foule. Une foule face à vous. Une foule qui vous regarde dans les yeux »).

Depuis, celle qui a porté plainte contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour viol sur mineurs, et qui a obtenu auprès de l’Assemblée nationale la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles au cinéma, s’est battue dans l’arène politique et médiatique pour imposer un auto-critique sur les violences, psychologiques et physiques, faites aux femmes.

Mais de tout cet arrière-plan contextuel, il n’est presque pas question ici. Il faut seulement le garder en ligne d’horizon, pour comprendre cet essai-dansé quasi abstrait, organique, dans lequel chaque mouvement du corps exprime une tentative de lente guérison. D’abord figés, les figurants miment la parole empêchée en mettant leur main devant leur bouche. Les têtes se baissent, les regards fuient, les bras se recroquevillent. Avant de se réanimer anarchiquement. Les récits personnels, fragments de vie fracassés et lus en voix-off, s’éteignent pour laisser résonner la musique. C’est la vie qui reprend le dessus, envers et contre l’horreur passée.

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