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OLDIES · « Welfare » de Frederick Wiseman

  • Corentin Lê
  • 2023-07-03

En 1973, l’éminent documentariste Frederick Wiseman, spécialisé dans les portraits d’institutions, se plongeait au sein d’un bureau d’aide sociale à New York. Cinquante ans plus tard, le passionnant « Welfare » sort pour la première fois en France.

Resté inédit dans les salles françaises après sa sortie aux États-Unis en 1975, Welfare nous installe, près de trois heures durant, dans les locaux d’un bureau d’aide sociale à New York. Comme à son habitude, Frederick Wiseman prend la position d’un observateur patient et discret, qui laisse se dérouler ce qui prend place devant sa caméra : entretiens en vue de bénéficier d’aides, conversations sur les chaises de la salle d’attente, débats entre collègues sur la conformité de tel document, etc. Le cinéaste y observe les différents services qui occupent l’établissement se renvoyer la balle à intervalles réguliers, en laissant parfois les potentiels bénéficiaires totalement démunis.

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Car il est ici question d’explorer une structure sous pression, représentante d’une forme minimale d’État-providence dans un pays qui en est quasiment dépourvu. Pour ausculter le fonctionnement de l’institution, Wiseman a recours à la forme qui a fait sa renommée : d’un côté la captation, sur de longues durées, de situations dialoguées ; de l’autre l’insertion au montage d’intermèdes montrant les mouvements du personnel et l’envergure monstrueuse d’un organisme à la rigueur écrasante. Le bureau d’aide sociale y apparaît comme un labyrinthe administratif dans lequel il s’agit, pour les individus, de négocier avec la rigidité d’un agencement kafkaïen et quasi abstrait.

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En s’intéressant particulièrement au déploiement d’une parole conflictuelle, en lutte verbale avec le système, Wiseman parvient à rendre chaque entrevue réellement captivante. Cette accumulation de situations problématiques, voire insolubles, donne au film toute sa force politique : le bureau d’aide sociale a beau faire du cas par cas, le constat qui émerge du montage de Welfare est surtout collectif. Régler des difficultés individuelles une à une n’entravera en rien les maux systémiques dont elles ne sont que les échos. « Dans l’histoire, Godot ne vient jamais », évoque, en référence à ­Samuel Beckett, un sans-abri errant dans les locaux à la toute fin du film. Les bureaux de l’aide sociale ne désempliront pas tant que Godot n’aura pas pointé le bout de son nez.

Welfare de Frederick Wiseman, Météore Films (2 h 47), sortie le 5 juillet

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