
Fatima n’est pas comme ses sœurs, qui ressemblent à leur maman, s’habillent de manière « féminine » et maîtrisent la cuisine sur le bout des ongles. Pas de bol, Fatima préfère le foot et la philo. Et, pour couronner le tout, la jeune banlieusarde n’est pas attirée par les garçons, ce qui paraît peu évident à assumer quand on pratique une religion, l’islam, qui prohibe l’homosexualité. Bref, Fatima est la petite dernière, « celle à laquelle on n’est pas préparé », écrit Fatima Daas dans son roman autofictionnel sorti en 2020.
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En s’essayant pour la première fois à l’adaptation littéraire, Hafsia Herzi prend le risque de perdre ce qui faisait le sel intimiste de ses précédents longs métrages avec ce matériau exogène : il n’en est rien. Comme dans Tu mérites un amour et Bonne Mère, on retrouve le talent de l’actrice fétiche d’Abdellatif Kechiche pour faire vivre ses personnages en quelques coups de pinceau, avec piquant et générosité, sans verser dans le pathos. À la place de la temporalité diffractée du texte original, Herzi opte judicieusement pour un récit plus linéaire, resserré de la fin du lycée au début de la fac, pour y mêler comme, à son habitude, comédiens pro (dont l’excellente Park Ji-min, vue dans Retour à Séoul) et joyaux issus de castings sauvages (dont la fascinante actrice principale).
Leur vivifiant télescopage nourrit le questionnement au cœur du film : comment les identités ethniques, sociales, sexuelles et religieuses peuvent-elles cohabiter sans se déchirer, au sein d’un pays comme d’une seule et même personne ? Nadia Melliti, visage de sphinx, traversée par un désir obstiné que verrouillent en partie les non-dits, figure avec une bouleversante pudeur cette quête d’harmonie.