
« Je devais avoir 5 ou 6 ans quand j’ai vu sur MTV le clip d’All the Things She Said de t.A.T.u [sorti en 2000, réalisé par Ivan Šhapovalov, le manager du groupe, ndlr] la toute première fois. Ça m’a tout de suite fait quelque chose que je ne pouvais pas vraiment identifier. Après cette découverte, chaque fois que la chanson passait à la télé, je savais ce qui allait se passer, j’étais gênée, je me demandais si mes sœurs aussi avaient retenu ce clip et si elles savaient elles aussi que deux femmes allaient s’embrasser sous la pluie.
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À partir de mes 15 ans environ, j’ai commencé à taper sur Internet « romances lesbiennes », et j’ai regardé tout ce que je pouvais trouver facilement, sans payer, sans télécharger, sans garder de trace, en streaming. Imagine Me & You [d’Ol Parker, 2006, ndlr] avec Lena Headey, Below Her Mouth [d’April Mullen, 2017, ndlr] avec Erika Linder, Loving Annabelle [de Katherine Brooks, 2006, ndlr], The World Unseen [de Shamim Sarif, 2008, ndlr], The L Word [la série d’Ilene Chaiken, 2004-2009, ndlr]… À cet âge-là, j’avais juste besoin de savoir que ça existait, peu importe comment, qui, pourquoi, stéréotypé ou pas, relations d’emprise ou pas… J’avais juste envie de voir des femmes s’aimer.
Petit à petit, je suis devenue plus exigeante. Les romances lesbiennes qui satisfaisaient les hétéros ne me touchaient plus. Je n’arrivais plus à adhérer aux trames narratives où tous les personnages homosexuels sont en dépression ou finissent par se suicider. Les représentations caricaturées de genre et d’homosexualité, ce n’était plus possible non plus. Des personnages homosexuels qui ne politisent pas du tout leur homosexualité… j’avais besoin de plus. Je crois que la première représentation qui a changé la donne, c’était Moonlight de Barry Jenkins [qui a remporté entre autres l’Oscar du meilleur film en 2017, ndlr].
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J’avais 20 ans, et c’est un film qui m’est resté. Il y avait quelque chose de doux, de juste, que je n’avais pas forcément rencontré jusque-là. Je trouvais que c’était un film qui arrivait à éviter certains écueils pas évidents quand on parle à la fois de drogue, d’homosexualité, de pauvreté… Puis il y a eu Rafiki, réalisé par Wanuri Kahiu [2018, ndlr], peu de temps après, et le court métrage Baltringue de Josza Anjembe l’année d’après. »