
Pour vous qui avez fait du cinéma en prises de vues réelles et en animation, parfois même les deux à la fois, quelle place occupe le second ?
L’animation me rappelle à chaque instant ce qu’est un film, c’est-à-dire la machine de la caméra qui enregistre la réalité 24 fois par seconde. Sans vouloir être nostalgique, avec le numérique, on se rappelle moins que la reproduction du mouvement est une invention tout de même incroyable. Avec l’animation, on est obligé de dessiner chaque image, de toutes les faire bouger. Cela rappelle cette magie qui, elle-même, stimule l’envie de faire du cinéma.
Maya, donne-moi un autre titre reprend le même principe d’animation en stop-motion avec des collages que le premier volet, Maya donne-moi un titre. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette technique de la bricole ?
J’y prends un grand plaisir. Mais je trouve le terme « bricolage » un peu limité. On l’utilise systématiquement pour parler de mon travail et cela fait de l’ombre à d’autres éléments plus importants comme la narration, les personnages ou les astuces de mise en scène. Le bricolage est en réalité le résultat d’une impatience. Lorsque j’ai une idée, je n’ai pas envie d’envoyer 50 e-mails ou d’aller à l’autre bout de Los Angeles pour trouver quelqu’un qui puisse m’aider à l’exécuter. Je sais que je peux tout faire chez moi avec mon papier et mon téléphone. J’aime aussi que tout le monde puisse le faire car cela fait ressortir l’idée. Si l’aspect extérieur du film n’est pas trop détaillé et impressionnant, on ne se laisse pas envahir et on apprécie plus l’histoire ou l’humour.
Quel mot vous paraîtrait plus approprié ?
Je me demande si je ne préfèrerais pas « bâcler ». Le bâclage a quelque chose de fainéant et la fainéantise est une forme d’intelligence. Cela veut dire qu’on cherche une solution pour travailler le moins possible et rentabiliser l’effort. Avec « bricolage », on visualise une maison de campagne le week-end. Je ne dis pas que c’est mal de bricoler, mais ce n’est pas flatteur.
Je voulais surtout faire allusion à l’esthétique de votre démarche artisanale…
Pour l’esthétique, je prends souvent en exemple le studio d’animation UPA, composé dans les années 1950 de dissidents qui en ont eu marre de toujours faire le style rond de Disney. Ils ont décidé de ne faire que des lignes droites, ce qui a donné des dessins animés très stylisés, avec des décors aux grands aplats rouges. C’était plus percutant et la dynamique ressortait de manière plus acérée. Tex Avery est né de ce style. Ce n’est pas ce que j’essaie de reproduire mais la simplification m’apparaît positive et j’aime voir ça comme une influence.
Y a-t-il aussi eu celle de la bande-dessinée, notamment avec l’usage de bulles de dialogues et d’onomatopées ?
Pas vraiment en tant que forme d’art, parce que je n’aime pas la BD trop travaillée, ça me fatigue. J’aime la BD indépendante, Pif Gadget, Gaston Lagaffe et Spirou. Pas Tintin et surtout pas les comics. Je déteste les super-héros. Je trouve ça ringard, avec un côté viril et fasciste indéniable. Un mec en slip avec une cape, c’est Mussolini. Et l’idée que l’humanité aurait besoin d’un sauveur qui court-circuite la justice pour faire régner l’ordre, ça ne sent pas bon.

Le principe de Maya, donne-moi un autre titre, c’est que votre fille vous souffle des histoires que vous mettez en scène. Vous l’avez fait pendant plus de sept ans. Son rapport au cinéma et vos échanges autour du septième art ont-ils changé au fur et à mesure ?
Tout à fait. J’ai complexifié les histoires et les décors. Si bien qu’un beau jour, elle m’a demandé de faire quelque chose comme Toy Story. Je lui ai dit que ce n’était pas possible et elle a fini par comprendre ce que cela représentait au niveau du travail mais aussi que la valeur artistique ne dépend pas de la complexité. Elle sait que cela tient à l’imagination et à une autre virtuosité que celle des films en images de synthèse. L’exercice me fait réaliser ce que nous avons en commun. Je n’ai pas l’habitude de parler aux enfants comme à des bébés, nous avons des discussions aussi complexes que celles entre adultes. J’essaie aussi de retrouver l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’avais l’âge de l’enfant auquel je m’intéresse.
Vous êtes resté cet enfant-là ?
Pour être honnête, je n’arrive pas à voir la différence. D’ailleurs c’est très bizarre, quand on se regarde dans la glace, on est bien sûr rappelé à son âge, avec ses cheveux gris… Mais quand j’étais petit, je me disais qu’en grandissant, j’allais acquérir une certaine sagesse qui me ferait moins craindre la mort. Alors que pas du tout. C’est toujours pareil mais ça se rapproche, donc ça devient juste plus flippant.
Le cinéma semble aussi, particulièrement dans le cas des Maya, être un moyen de vivre des aventures par procuration…
C’est la possibilité de créer un monde qui accueille une utopie, dont la nature est pourtant qu’on sait que cela ne marchera jamais. C’était le principe de Soyez sympas, rembobinez [dans lequel deux amis font des remakes de tous les films d’un vidéoclub effacés par erreur, ndlr] : j’ai créé un monde pour permettre à un rêve de se réaliser.

Vous apparaissez en tant que personnage dans vos derniers films, les deux Maya et Le Livre des solutions, dans lequel Pierre Niney joue votre alter-ego, un réalisateur au bord de la crise de nerfs. Est-ce un choix conscient que de se raconter en faisant du cinéma ?
Pour Maya, c’est justifié par le fait de vouloir recréer notre univers, donc avec aussi son oncle, ses grands-parents, sa mère… C’est une manière de montrer à ma fille que ces films sont faits uniquement pour elle. L’acte de l’autoportrait, que l’on voit dans Le Livre des solutions, est un peu différent. Les gens pensent toujours qu’on fait un film parce qu’on a un sujet, une idée qu’on veut transmettre. Cela arrive. Mais parfois, on a simplement envie de faire un film et pas de sujet. Pendant dix ans, Stanley Kubrick n’a rien trouvé à raconter, jusqu’à ce que son producteur lui propose d’adapter Shining. Donc là, on peut se dire « bon, au moins j’ai moi. Et ce qui m’est arrivé n’est pas moins intéressant que ce qu’on raconte dans tel ou tel livre. » L’autoportrait, à la base – et je crois que c’est important de remettre des bases avant de partir dans des réflexions plus complexes ou plus tordues – c’est surtout qu’on cherche un sujet et qu’on n’a plus que soi sous la main.
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: Maya, donne moi un autre titre de Michel Gondry (Joker Films, 1h03), sortie le 18 juin