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Scène culte : Hyènes de Djibril Diop Mambéty

  • Michaël Patin
  • 2018-12-18

Le nom du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty est réapparu fin 2017 à la sortie de I Am not a Witch de la Zambienne Rungano Nyoni, laquelle citait partout Hyènes comme sa grande référence. Logique puisqu’il existe peu (pas ?) d’autres équivalents africains à ce cinéma-là, troquant le réalisme pour une vision purement mentale du décor et des situations, et poussant la satire sociale jusqu’à l’absurde et au malaise. Devenue « plus riche que la Banque mondiale », Linguère Ramatou revient à Colobane, trou miséreux aux portes du Sahel, pour réclamer la mort de Draman Drameh, son ancien amant, qui l’a lâchée, enceinte, trente ans plus tôt. Entre la fortune promise et ce que leur dicte leur conscience, les habitants doivent arbitrer… Tout tient dans la manière dont le poison se diffuse, transformant l’hypocrisie initiale (chacun se met à dépenser l’argent qu’il n’a pas) en fatalisme meurtrier (on trouve toujours de bonnes excuses). La plus belle scène, la plus vicieuse aussi, est celle où Draman va se recueillir à l’église, au son de la musique lancinante de Wasis Diop (frère du réalisateur). Assis sur un banc, il observe les lieux, l’air grave, aperçoit une télévision allumée (qui diffuse des images de bébé sous-alimenté), puis deux ventilateurs fixés autour d’une statue de la Vierge… Le religieux arrive, monte à la chaire, sourit et s’adresse à la brebis galeuse : « Draman Drameh, je sais ce qui t’amène. Mais tu dois garder la foi jusqu’au bout. Un train s’arrête ce soir à Colobane. Prends-le ! » Puis il repart aussi sec. La caméra plonge pour dévoiler deux ouvriers en train de déballer un énorme lustre. Suit un plan fixe d’une efficacité et d’une audace folles : devant, le lustre hors focus, à travers lequel se découpe le visage de Draman. Clic, le lustre s’illumine de mille feux électriques ; boum, le vieil homme ouvre la bouche de stupeur. Il a compris que rien (ni homme ni dieu) ne pourra le sauver. Sa tragédie, celle d’un continent entier, est d’autant plus amère qu’elle prend la forme d’une farce.

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: de Djibril Diop Mambéty
Ressortie en version restaurée le 2 janvier (JHR Films, 1 h 50)

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