
Vous êtes plutôt Eva en août (2020) et déambulation à Madrid, ou Antoinette dans les Cévennes (2020) et randonnée avec un âne ? Quelles que soient vos préférences en termes de vacances, une chose est sûre, vous vous êtes déjà identifié.e au moins une fois à une héroïne estivale. Peuplant le cinéma européen depuis des années, elles parcourent inlassablement les rues des capitales, les plages et les sentiers de randonnée à la recherche d’une vérité sur la vie, sur l’amour, ou tout simplement sur elles-mêmes.
Si des ébauches de ce personnage peuvent être observées dès 1953 du côté de classiques comme Vacances romaines, où une Audrey Hepburn royale s’évadait à Rome pour fuir son destin, l’héroïne d’été telle qu’on la connaît aujourd’hui fait surtout ses débuts chez Eric Rohmer, l’un des cinéastes phares de la Nouvelle Vague.
Dès les années 1980, ce dernier s’émancipe du point de vue masculin qui dominait jusque-là la plupart de ses films, et s’emploie à dresser le portrait de toute une ribambelle de jeunes femmes en prise avec la vie et son sens. Se déroulant souvent en été, ces œuvres, pensées comme des contes philosophiques, donnent le “la” au personnage estival que l’on connaît : il y a d’abord Pauline à la plage, où deux cousines se questionnent sur l’amour et le désir au bord de la mer, puis Conte d’été, où trois femmes au caractère bien trempé gravitent autour d’un Melvil Poupaud indécis…
Mais c’est surtout avec Le Rayon Vert, réalisé en 1983 et qui lui vaudra le Lion d’or à la Mostra de Venise, que Rohmer perfectionne sa formule. On y suit les péripéties de Delphine, une parisienne un peu paumée qui voit ses plans de vacances entre copines s’effondrer à la dernière minute. Souffrant de la solitude, elle se lance alors dans un périple chaotique aux quatre coins de la France, dans l’espoir de trouver enfin la paix.

LA SAISON DE TOUS LES POSSIBLES
Depuis Delphine, d’autres grandes héroïnes ont mis le feu à nos étés : impossible d’oublier Ava, et son adolescente au bord de la cécité, interprétée par la brûlante Noée Abita, ou l’intrépide Antoinette, déjà cité plus haut, incarnée avec brio par Laure Calamy dans le randonnée-trip de Caroline Vignal.
D’autres ont éclairé nos étés de façon plus confidentielle mais tout aussi intense : Nina et ses amours obsessionnelles dans Les Météorites de Romain Laguna, Ana et ses errances existentielles dans Baden Baden de Rachel Lang… Cette année, c’était au tour de Valentine Cadic, réalisatrice du joli court-métrage Les Grandes Vacances, de s’emparer du sujet féminin estival au cinéma dans Le rendez-vous de l’été, où elle filme Blandine, une normande aussi douce que taciturne, qui voyage seule à Paris pour assister aux Jeux Olympiques – un personnage qui se nourrit aussi de l’amour que la réalisatrice porte au Rayon vert. « C’est un film qui a été très marquant», confie Valentine Cadic. « J’ai vraiment aimé rencontrer Delphine et vivre ce petit bout d’été avec elle»).
Mais alors, pourquoi l’été fascine-t-il plus que l’hiver ? Au cinéma, la saison estivale fonctionne un peu comme un temps suspendu, rappelle Rachel Lang, la réalisatrice de Baden Baden. « L’été, quand on est enfant, ça dure des siècles, c’est génial. Et puis, une fois adulte, ça passe en deux secondes… J’avais envie de raconter cette histoire de transition dans le ressenti du temps de l’été, qui n’est pas le même en fonction de l’âge…» « C’est sûr que les saisons racontent beaucoup », abonde Valentine Cadic. « Il y a plein de choses qui me plaisent en été : une ambiance, une forme de détente… J’aime aussi filmer en extérieur, et il y a beaucoup plus de choses de l’intime qui s’y dévoilent l’été. »
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RÉÉCRIRE SA TRAJECTOIRE
Parce qu’il est toujours un peu magique, l’été reste aussi une période de liberté. Les héroïnes estivales l’ont bien compris, et leurs trajectoires bousculent souvent les codes avec plus de force qu’en hiver ou en automne : rebelles et incarnées, elles échappent aux clichés sur leur condition (et au désir de leurs homologues masculins, comme Pauline dans le film de Rohmer, qui n’hésite pas à donner un grand coup de pied à l’homme qui tente se glisser dans son lit). « Je voulais que mon personnage soit un individu avant d’être une représentante de son genre », explique Rachel Lang. « Et l’été permet beaucoup plus ça, parce qu’on est proche plus proche d’un état de nature, des sensations…. J’ai l’impression que l’été a quelque chose de plus fluide et de plus unisexe que l’hiver.»
Cette trajectoire féminine à contre-courant, souvent, s’effectue seule -encore un pas de côté, qui plaît aux cinéastes. « Une femme seule, ça serait forcément suspect, pas dans la norme”» remarque Valentine Cadic. « Je voulais interroger la solitude.»
S’ils sont atypiques, ces étés solitaires permettent en réalité aux personnages féminins de déployer leurs mondes intérieurs, et de s’emparer de sujets déterminants, comme la sexualité, la famille, le deuil ou la maternité. Autant de questions auxquelles elle s’emploient à apporter des réponses inattendues et émancipatrices : le grand départ, le retour aux sources, la rupture avec les carcans qui les emprisonnaient. Un état d’esprit que Blandine, dans Le Rendez-vous de l’été, résume parfaitement lorsqu’elle s’interroge «Pourquoi il faudrait être comme tout le monde ?» Alors, quelle héroïne d’été serez-vous cette année ?
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