
Normalement, je préfère vouvoyer les gens, mais après avoir vu vos spectacles et lu votre livre, ça me paraît bizarre. Quand on se raconte, c’est compliqué, ensuite, de mettre une barrière avec les gens ?
Panayotis Pascot : Ah oui ! Ça démarre tout de suite par une question profonde. On ne fait même pas semblant de se poser des questions nulles genre « peut-on rire de tout ? ». J’aime bien. On va se tutoyer. Mais c’est une bonne question, parce qu’aujourd’hui on ne sait jamais trop comment se positionner avec les gens.
Moi, je n’ai pas envie de mettre de barrières. Quand je croise les gens dans la rue, je ne sais jamais ce qu’ils savent de moi. Certains ont lu mon livre, d’autres ont vu le premier spectacle, ou le nouveau, ou juste ma gueule à la télé. Donc j’ai arrêté de me poser la question. Tout ça fait partie de ce que j’essaie d’apprivoiser en ce moment : arrêter d’être dans le contrôle, laisser faire les choses. Je ne te dis pas que j’y arrive tout le temps, mais j’essaie…
« Il faut avoir au moins vingt ans de scène dans les pattes pour commencer à vraiment te dire stand-upper. »
Sur scène, tu donnes en tout cas l’impression d’être plus libre, plus détendu…
Ça, c’est la magie du stand-up. Je ne suis encore qu’un débutant. Ça fait à peine dix ans que je monte sur scène. Tous les humoristes que j’admire te le diront : il faut avoir au moins vingt ans de scène dans les pattes pour commencer à vraiment te dire stand-upper. Avant, ce n’est que de l’entraînement. Plus j’en fais, plus j’apprends.
C’est quand même un truc bizarre. Il faut être un peu inconscient pour faire ça. Ça me fait ça en ce moment… Je fais ma journée et, soudain, je me rappelle qu’à 19 heures je dois aller raconter ma vie à six cents personnes que je ne connais pas.
Mais même aller voir du stand-up, c’est un truc bizarre. T’es dans une salle, il n’y a plus trop de notion de temps et d’espace. On plonge tous dans un seul et même cerveau, on passe d’une idée à une autre… Et on kiffe. En fait, il faut des heures de boulot pour donner l’illusion que tout ça est spontané et même détendu.

Tu as l’impression qu’on ne prend pas le travail du stand-up au sérieux ?
Mais heureusement qu’on ne le prend pas au sérieux ! Si on bosse autant, c’est pour que personne ne voie le travail. Je ne suis jamais aussi content que quand on me dit : « Trop bien, l’improvisation, ce soir, sur scène. »
J’ai joué mon premier spectacle quatre cents fois. Je le connaissais par cœur de chez par cœur. Ça ne veut pas dire que tu ne prends pas de plaisir ni que tu fais semblant. La comédienne dans le film qui t’a fait pleurer parce qu’elle apprend la mort de son fils, en fait elle a tourné cette scène quarante-six fois dans des axes différents, elle a pris une pause catering entre les prises, elle a mangé une quiche et, si ça se trouve, elle ne sait même pas à quoi il ressemble, son fils, parce que c’est le premier jour de tournage. On n’a pas envie de savoir ça. Moi, quand j’aime un film, je n’ai pas envie de voir le making of. C’est pareil avec le stand-up.
« J’ai l’impression d’être dans la salle d’attente de la vraie vie d’un adulte. »
Le plus difficile, c’est de monter sur scène ou de remonter sur scène pour le deuxième spectacle ?
Le premier spectacle, je peux le dire sans problème, ça n’a pas du tout été que du plaisir. J’ai cherché la perfection. C’était maladif. Ça m’a rendu malade, d’ailleurs.
C’est tellement dur de faire la paix avec soi. Ce métier, c’est un roller coaster pour l’ego. Un soir, t’as fait marrer la salle, t’es le roi du monde. Le lendemain, t’es la pire des merdes. La pente est dure à gérer. Même la montée.
J’ai un rapport plus décomplexé avec ce spectacle. Et je pense qu’étrangement ça le rend plus drôle, plus vivant, plus ouvert.
Sur Presque [son premier stand-up, joué à partir de 2019, ndlr], je jouais un rôle, en fait. Je cherchais le timing parfait. Là, j’apprends à respirer. Écrire un livre [La Prochaine Fois que tu mordras la poussière, paru en 2023 aux éditions Stock, ndlr] a été très intense. Même la promotion, en parler, c’est un moment qui m’a vraiment bousculé.
Je voulais mettre un peu de temps, un peu de distance… Mais j’ai eu envie très vite de retrouver la scène, de m’amuser tous les soirs.

À 26 ans, tu racontes dans le spectacle être dans l’« entre-deux », ce moment de la vie où tu n’es responsable que de toi-même et qu’il faut vivre avec ça…
En ce moment, j’ai l’impression d’être dans la salle d’attente de la vraie vie d’adulte, qu’on me dit : « Ca va être à ton tour, mais il faudra que tu sois bien sûr de tes choix, de ce que tu veux, avec qui tu le veux. »
C’est quand même assez nouveau, dans l’histoire de l’humanité.
À mon âge, avant, tout était déjà tracé. On passait d’enfant à adulte. Maintenant, on doit tous passer par cette zone molle. Et c’est flippant. Alors, on comble le vide. Certains font des études jusqu’à 35 ans. D’autres développent douze mille hobbies ou passent d’un boulot à un autre. C’est dur, d’apprendre à se poser.
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Mais toi, tu travailles depuis tes 15 ans…
Je l’ai souvent dit, mais j’étais un enfant bizarre. Je voulais être adulte tout de suite. Je kiffais avoir des responsabilités, des enjeux. J’ai toujours eu des potes plus âgés que moi. Aujourd’hui, ils ont 35 ans, ont bossé comme des fous, ont construit des carrières. Et maintenant, on fait quoi ? La société te dit de faire des enfants. OK, allons-y. Je ne sais pas si c’est la bonne solution. Il y a un vide en nous. À un moment, il va falloir trouver un moyen de le remplir.
Il y a des sujets très durs dans le spectacle, notamment quand tu brosses le portrait de ta famille et son lourd héritage. Tu parles de suicide, de ta dépression… Est-ce que faire rire, parfois, c’est douloureux ?
C’est une question de recul. J’ai un rapport mi-nonchalant mi-intense à la vie.
Il y a des moments où les choses me blessent, où je n’arrive pas à m’en sortir. Et puis, petit à petit, ces choses-là se digèrent et j’arrive à trouver ça marrant.
À l’époque où j’étais en coloc avec Fary [humoriste et acteur français, qui a présenté récemment la télé-réalité Loups garous, ndlr], il m’avait dit que j’allais choper la maladie du stand-upper.
Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Et puis, un jour, je vois que ma mère a essayé de m’appeler plusieurs fois. Je la rappelle.
Je lui demande si ça va. Elle me dit : « Oui, ça va, enfin je viens de tomber dans l’escalier, je suis à l’hôpital. »
Et j’ai éclaté de rire. Pendant qu’elle me parlait, je me suis mis à noter des vannes sur le fait que ma mère avait toujours besoin de dire « ça va », même quand ça ne va pas.
Je ne sais pas si je devrais le dire, parce que je n’en suis pas très fier, mais il m’est déjà arrivé, en plein rapport, de tout arrêter pour aller écrire une note, un truc qui me faisait rire. J’ai du mal à vivre frontalement les choses. Être à distance du monde, ça permet d’en rire, mais c’est aussi une forme de dépression. Il y a des périodes de ma vie où j’avais complètement disparu. Je me regardais vivre. J’étais un personnage et je prenais des notes sur tout. Je ne dis pas qu’il faut être dépressif pour être humoriste. Je connais des gens très drôles qui vont très bien. Mais je les envie.
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Le spectacle a quelques punchlines déroutantes : ton envie de faire du mal à ta psy, ton rapport à ton homosexualité, aux corps féminins… Tu ne crains pas que ça puisse être mal compris ?
C’est tout le problème du stand up. Quand tu le dis comme ça, ça paraît scabreux. Mais je suis sûr qu’en me voyant le dire sur scène tu ne t’es pas posé la question. C’est pour ça que les captations de spectacles ou les extraits, ça nous fait parfois plus de mal qu’autre chose. Quand t’es dans la salle, tu ressens les choses. On te raconte une histoire. C’est viscéral. Je pense que oui, dans la salle, on peut rire de tout. T’as vu ? C’est marrant, on a quand même fini par se demander si on pouvait rire de tout. Comme quoi, ce n’est pas si con, comme question.
Le cinéma tient une place importante dans ta vie. C’est quoi, ton film préféré ?
No Country for Old Men des frères Coen [sorti en 2008, le film oscille entre le thriller et la comédie et suit un tueur à gages en cavale et les personnes à ses trousses, ndlr]. C’est bizarre, mais c’est un film qui me calme. C’est un film qui résume une idée qui me hante : « Est-ce que les gens que tu as aidés t’ont pardonné ? »
C’est aussi un film sur le destin. Les choses sont. Tu ne peux rien y faire. Et c’est une idée qui me calme. Je suis dans une période de ma vie où je ne sais pas ce qu’il va se passer, si les choses vont rester telles qu’elles sont, si tout va s’écrouler. Je me dis que je vais faire comme le personnage principal du film… Faire avec. Me laisser porter.
Entre les deux, jusqu’au 1er mars, au Théâtre Fontaine
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La Prochaine Fois que tu mordras la poussière (Stock)
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