![[Exclusif] Ophélie Bau au festival de Locarno : « J'ai envie d'accompagner mon personnage pour lui dire “au revoir et merci.” » 1 02263MMarrtegani scaled e1754897586161](https://www.troiscouleurs.fr/wp-content/uploads/2025/08/02263MMarrtegani-scaled-e1754897586161-1002x1024.jpg)
C’est une manière de clore dans l’apaisement une polémique qui a engendré un tourbillon de rumeurs : en 2019 à Cannes, Abdellatif Kechiche avait montré, sans le visionnage et la validation de l’actrice au préalable, Mektoub, My Love : Intermezzo, volet improvisé à partir de rushs de Canto Due, qui contenait notamment une longue scène de sexe non-simulé impliquant Ophélie Bau. L’actrice s’était ensuite protégée par un silence médiatique, s’exprimant de très rares fois sur le sujet et toujours de manière à ne pas alimenter les innombrables rumeurs. Dans cette affaire où tout le monde parlait à sa place – et, parfois, délirait -, on attendait le moment où Ophélie Bau exprimerait son point de vue. C’est ce qu’elle a fait au festival de Locarno en répondant avec intelligence et lucidité à nos questions dans cette interview exclusive.
Qu’est-ce qui vous a décidée à venir présenter ce film, alors que vous n’aviez finalement pas accompagné la présentation de Mektoub, My Love : Intermezzo en 2019 ?
Au départ, j’étais un peu en dualité, puis finalement ça s’est imposé comme une évidence. La raison pour laquelle je me suis absentée à Cannes en 2019, c’est la même pour laquelle je viens aujourd’hui ici. Je me suis absentée parce que le montage final ne respectait pas le contrat qu’il y avait entre Kechiche et moi. Pour Canto Due, le montage final respecte le contrat. Sur cette base-là, il n’y avait pas de raison que je ne vienne pas.
Il me semble qu’une des conditions du contrat, c’était que vous puissiez voir le film avant sa projection cannoise ?
Ce n’est pas seulement ça. C’est une chose sur laquelle je n’ai pas envie de revenir. Je laisse libre cours à l’imagination de chacun. Ma venue ici, c’est très personnel, intime. J’avais envie de paix dans ma vie. J’étais prête. Je viens en paix. Aujourd’hui, je suis là pour présenter ce film, pour assister à la projection, pour accompagner les autres acteurs. C’est une démarche presque spirituelle, un cheminement personnel.
Est-ce que vous avez vu Mektoub, My Love : Canto Due ?
Oui, je l’ai vu. Pas dans les meilleures conditions parce que c’était dans le train, sans son parce que je n’avais pas mes écouteurs. C’était juste une manière de parcourir le film pour que la production puisse avoir mon approbation ou pas. Je n’étais pas dans une analyse du film, je n’étais pas non plus dans une émotion. J’étais vraiment dans du factuel. Je me demandais : « Est-ce que c’est bon ou pas bon pour moi ? » C’est tout.
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Est-ce que vous avez fini par voir Mektoub, My Love : Intermezzo ?
Jamais. Ni avant, ni pendant la projection à Cannes, ni après.
Et que pensez-vous de Canto Uno ? Vous l’avez revu depuis la première projection au festival de Venise ?
Non, mais je pense qu‘il faut revoir Canto Uno pour voir Canto Due. Il s’est passé sept ans entre les deux projections !
Quand ont été tournés les films qui forment aujourd’hui la trilogie Mektoub ?
Il y a eu deux tournages. Un pour Canto Uno, en 2016, et un autre pour Canto Due au printemps et à l’automne 2018. Kechiche a ensuite improvisé Intermezzo avec des rushs de Canto Due.
Presque tous les acteurs et actrices du film et une partie de l’équipe technique sont venus présenter Canto Due pour cette première mondiale à Locarno. Vous avez gardé des liens avec elles et eux ?
J’ai des liens avec Shaïn [Boumedine, ndlr], qui joue Amin dans le film. Je suis restée en contact avec Lou Luttiau aussi. Avec les autres non, mais on n’est pas fâchés du tout, il n’y a pas de conflit, c’est juste que les liens se font et se défont. Je pense aussi que tout le monde a eu besoin de s’éloigner du projet, de s’en détacher. Personnellement, j’avais à cœur de ne pas créer mon identité cinématographique à travers ce premier film, ce premier rôle, cette première expérience.
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Comment vous décririez votre personnage dans le film et son parcours dans la trilogie ?
[Elle réfléchit un moment, ndlr.] J’ai une certaine admiration pour mon personnage. Pour son parcours, pour sa malice dans sa manière de gérer les situations, à essayer de s’en sortir, à se dépatouiller d’un milieu vraiment atypique pour une femme [elle campe Ophélie, une jeune femme qui travaille dans la ferme de ses parents, et s’occupe notamment de chèvres, ndlr]. J’aime bien sa façon d’essayer de s’en extirper. Je trouve ce personnage touchant, mais c’est surtout sa trajectoire qui me touche [l’été durant lequel se déroulent les films est vécu comme le dernier d’insouciance par Ophélie : elle doit se marier quelques semaines plus tard et apprend qu’elle est enceinte de son amant, ndlr]. C’est aussi pour ça que je suis là aujourd’hui, non seulement parce que le contrat a été respecté, mais aussi parce que j’avais envie d’accompagner mon personnage, parce que j’ai l’impression que je l’ai laissée toute seule. J’ai envie de l’accompagner pour la laisser filer à l’écran, et lui dire au revoir et merci.
Quasiment tous les personnages portent vos vrais prénoms. Est-ce qu’ils sont inspirés de vous ?
Je n’ai jamais eu de scénario. Je sais que mon personnage n’existait pas du tout comme ça. Kechiche l’a écrit en me rencontrant. Je parle pour le mien, mais peut-être pour les autres personnages aussi. Mon personnage s’est développé au fil du tournage. Il y a beaucoup d’inspiration directe, de la rencontre, des échanges, de ce que j’ai pu donner, de ce que j’ai eu envie d’apporter. C’est vrai que d’avoir le même prénom, ça crée une confusion à un moment. Les conditions dans lesquelles on tourne créent la confusion aussi et du coup, on se sent vraiment pleinement le personnage, pleinement immergé. La fusion, elle n’est pas que physique mais aussi mentale. Il faut ensuite faire la séparation. Et c’est pour ça que je viens lui dire aujourd’hui « au revoir et merci », parce que c’est terminé. Je ne suis pas dans un syndrome de Stockholm.
Suite à la polémique autour de la projection d’Intermezzo à Cannes, vous n’avez jamais réagi impulsivement aux rumeurs, vous avez laissé passer la vague avant d’expliquer ce que vous aviez envie d’expliquer. Qu’est-ce qui vous a permis de tenir le cap ?
Ce qui n’a pas été difficile, c’était de rester dans mon chemin, parce que j’étais très convaincue. Je pense que ce qui était important, c’est que j’avais autre chose dans ma vie. Je ne viens pas du cinéma, je ne connais pas les codes. Je ne savais pas ce qu’il fallait faire ou pas faire. J’ai juste fait ce que j’avais dans mon cœur. Je sentais que plus on m’en parlait, moins je me portais bien. Je me demandais si je devais en parler, détailler, et pour quoi, pour qui ? Et j’ai compris que, ce qui compte, c’est moi, comment je vais, ce que je veux dans ma vie. C’était ma ligne directrice.
Est-ce que vous avez l’impression que votre travail d’actrice est reconnu à sa juste valeur ?
Je viens pour le reconnaître moi d’abord, pour me redonner tout ce que je n’ai pas pris, tout ce que je n’ai pas eu, tout ce qu’on ne m’a pas donné. Tout ce qu’on m’a pris. J’ai une confiance en mon travail, en moi, en ma capacité de jeu. Ça ne veut pas dire que je me trouve incroyable. Je peux être mauvaise. Je me suis déjà vue, entendue dans des projets où je me suis dit : « Oh là là, ce passage, c’est dur… » Il n’y a pas de problème avec ça, c’est normal. Heureusement, il y a des réalisateurs et réalisatrices qui prennent la bonne prise. Concernant la reconnaissance de mon travail, je ne compte pas sur ce film pour ça. Ce n’est pas pour ça que je suis venue, pour que les gens se disent : « Ah oui, en fait elle est bien dedans. Quel dommage que toutes ces polémiques ! » Je n’aime pas cette corrélation. Et puis, je ne suis pas la seule, toute l’équipe d’acteurs mérite une reconnaissance.
Dans plusieurs interviews, vous parlez de votre goût pour la liberté. Hormis dans le cinéma de Kechiche, vous sentez cette liberté possible dans le jeu ?
Je pense que ce n’est pas seulement une manière de travailler, c’est un état d’esprit, la liberté. Il y a celle qu’on nous donne, il y a celle qu’on prend aussi. Dans les projets que j’ai faits après, je ne me suis pas sentie frustrée dans le jeu parce que j’ai travaillé avec des gens qui m’ont laissée libre. Je pense que c’est en train d’évoluer, ça, peut-être grâce au cinéma de Kechiche. Mais je pense aussi qu’avant que ce soit physique, c’est dans la tête de chaque acteur. Je me demande toujours où est ce que je trouve ma facilité, ma liberté, même dans l’inconfort. On a un cadre, il y a un décor, il y a des objets, mais on peut tous trouver une liberté en soi. C’est avant tout une démarche intellectuelle.
Aujourd’hui, vous vous sentez maîtresse de votre propre narration ?
Oui, je fais en sorte. Après, il y a le « mektoub » [« destin » en arabe, ndlr] – sans jeu de mots –, et il y a ce qu’on en fait. Dans la vie, les opportunités ne donnent pas forcément la réussite. L’épreuve ne donne pas forcément l’échec. Ça dépend ce que tu en fais. L’épreuve ou l’opportunité, c’est le mektoub, et ce que tu en fais, ça s’appelle le choix. Et c’est ça qui détermine réellement ton destin.
De quoi avez-vous envie pour la suite ?
J’ai vécu deux ans à Paris, rien à signaler. C’était pas pour moi, je n’ai pas aimé du tout. Tous les jours je pensais à Montpellier [où elle a vécu à partir de 22 ans après avoir grandi à Besançon, ndlr], le sud, la mer. J’ai besoin de l’air iodé, de la vue, de l’horizon. Je suis absolument heureuse dans ma vie. Qu’est-ce qu’on peut me souhaiter ? Juste que ça continue comme ça, que ce soit la vie personnelle ou professionnelle. Je ne suis pressée de rien. Et puis, je suis sur un dossier de neuf mois des plus importants ! [Elle désigne son ventre en rigolant pour souligner qu’elle est enceinte, ndlr.] Je me concentre dessus, et à partir de l’année prochaine, j’ai des projets cinématographiques qui viennent et qui reviennent, et pour lesquels je suis contente et impatiente. J’ai toujours envie de jouer. Ça, ça ne m’a jamais quittée.
Pour finir, une question que l’on pose aux réalisatrices et actrices que l’on interviewe : quelle est votre scène de sexe préférée de tous les temps ?
En fait, je ne suis pas fan des scènes de sexe. Même les scènes de baisers, je tourne la tête. C’est vraiment de l’ordre de la pudeur. Pourtant, je suis pour qu’il y en ait dans le cinéma, c’est représentatif de la vie. Il n’y a aucun problème avec les scènes de nudité, de sexe, de baiser, d’amour. Par contre, à regarder en tant que spectatrice, ça ne m’a jamais plu. Je pense que je n’ai pas envie de rentrer dans cette intimité en tant que spectatrice. Je suis très romantique, très lunaire. Je peux buguer longtemps sur des choses. Par exemple, sur les mains. Ça me raconte beaucoup de choses, la façon de toucher, la tendresse avec les mains. C’est tout ça pour moi l’amour et du coup la sensualité, la sexualité. Si on devait mettre en scène l’amour au cinéma pour que je puisse, moi, le regarder, ce serait l’amour avec les mains.
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