FID Marseille 2025 : « Fantaisie », « Bonne Journée »… Nos 3 coups de cœur

De retour du festival phocéen, vitrine du cinéma indépendant dont la dernière édition s’est achevée le 13 juillet, on garde en tête trois très beaux films.


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"Si nous habitons un éclair" © Louise Chevillotte / Apsara Films

Si nous habitons un éclair de Louise Chevillotte

Louise Chevillotte, comédienne, aujourd’hui cinéaste, a perdu sa mère en 2021. C’est le point de départ de son film, son premier, qui ne pouvait prendre d’autre forme que celle d’un journal intime, partagé entre des moments dont l’apparente tranquillité tranche avec le lourd chagrin qui déréalise un réel pourtant familier, et d’autres où elle interroge son frère, son père, les amis de sa mère au sujet de cette disparition. Avant de s’interroger elle même sur une phrase de René Char que sa mère aimait tant : « Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel. »

Dès lors, tout le film tournera autour d’elle comme un Rosebud dont il faudrait déchiffrer le sens, percer le mystère pour tenter de comprendre l’incompréhensible et approcher cette frontière ténue entre le monde des morts et celui des vivants. Là, Si nous habitons un éclair prend la forme d’un film d’enquête linguistique où les mots, et leur poésie apparaissent comme de précieux remèdes face à cet impensable, cette impossible que représente la perte. A travers, eux, c’est aussi le portait de la disparue, qui en était férue, que brosse la cinéaste, comme une étreinte qui laisse deviner le trajet d’une transmission d’une mère, elle aussi ancienne comédienne, à sa fille.

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Le film est bouleversant dans sa pudeur mais aussi dans le rapport au monde qu’il chérit et révèle, cette curiosité qui ne peut s’épanouir qu’au contact de l’altérité. Ou vont-ils, les défunts, quand ils disparaissent et quittent le monde du visible ? Sur une île paradisiaque lointaine ? Dans le ciel ? Ou bien restent-ils là, tout près, à côté, dans les maisons, discrets et silencieux ? La question reste en suspens mais Si nous habitons un éclair s’envisage bien comme ce petit « coin » de pensée et de recueillement, cet espace documentaire, précaire, ouvert, en totale harmonie avec une autre phrase de René Char dispersée dans le film : « L’inaccompli bourdonne d’essentiel ».

Le film a reçu la mention spéciale du jury de la compétition premier film.

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« Fantaisie » © Isabel Pagliai / 5 à 7 Films

Fantaisie d’Isabel Pagliai

Elle pourrait être l’héroïne de Je, tu, il, elle de Chantal Akerman. Dans une maison rustique et vétuste, Louise, seule, cloîtrée, fredonne des chansons toute la journée. Le film s’ouvre sur une nuit noire, profonde et des volutes de fumée d’où s’échappe la voix douce d’une jeune fille « complètement malade ». Pour son premier long métrage Isabel Pagliai, ancienne étudiante du Fresnoy, déjà autrice de plusieurs moyens et courts métrages hybrides et cheffe opératrice pour d’autres (Damien Manivel), met en scène les tourments de son héroïne avec cette qualité à priori paradoxale et stimulante, qui consiste à brouiller suffisamment les repères de la narration classique pour mieux nous perdre tout en rendant l’expérience parfaitement claire, partageable et donc universelle. Dans les tourments de Louise, dans son attente, son chagrin, dans sa profonde solitude se dessinent peut être un deuil, une séparation et l’expression d’une sensibilité au bord d’un précipice.

C’est le pari du film, l’un de ses partis pris, que de basculer, de muter, de passer d’un huis clos champêtre dépressif à une bulle fantasmagorique où telle une Alice au pays des merveilles, Louise retrouve Thomas, un amoureux aux grands yeux sombres. Au centre de cette Fantaisie, Louise, comédienne pour la première fois, dont les écrits et les notes tour à tour drôles, poétiques et morbides, peuplent le film, donne une profondeur impressionnante à tous ces états un peu flottants propres à la confusion des sentiments. Les chansons qu’elle fredonne de bout en bout sont ses bouées qui l’amarrent au réel tout en lui permettant de le dépasser, à l’image de cette Fantaisie, film funambule, rêveur et envoutant.
Le prix a remporté de le prix de la compétition premier film.

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« Bonne journée » (c) Pauline Bastard

Bonne journée de Pauline Bastard

C’est la rencontre des Glaneurs et de la glaneuse d’Agnès Varda et de Toys Story. Pauline Bastard connait bien cet Emmaüs de Grenoble, elle y a passé du temps, y a consacré une exposition (du même nom) et désormais un film. Dans ce grand hangar entouré de montages et déserté par les clients, sans doute parce que la chaleur de l’été y est trop intense, des travailleurs et travailleuses en réinsertion bravent l’ennui en s’improvisant artiste, plasticien, metteur en scène, modèle ou photographe. A leur disposition, un panel d’objets, de meubles et de vêtements de seconde main abandonnés pour cause de vieillesse comme le seront, un jour, les joujous de la trilogie Pixar.

Mis au centre du plan telles des natures mortes, détournés de leur fonction primaire, manipulés comme de véritables joyaux, les voilà qui, sous le regard de ces artistes en herbe et ce celui de Pauline Bastard, reprennent les couleurs du vivant, transgressent leur condition, se parent d’une dimension animiste. Comme le film de Varda, Bonne journée se fait alors l’éloge du rafistolage, de la seconde main, de cet intérêt renouvelé et porté à tous ces choses injustement jetées et méprisées, dans un film à rentabilité zéro, par essence anti-capitaliste. En plus de démocratiser l’acte de création, de l’envisager dans sa part la plus collective, Bonne journée a cette belle intuition de percevoir dans le travail de ces employés un geste essentiel de soin et de réparation.

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Le film a reçu le grand prix de la compétition française.