
ÉDITO · Ce qui frappe en premier chez elle, c’est sa force tranquille. Dans La Petite Dernière de Hafsia Herzi, elle incarne Fatima, une jeune femme musulmane qui vit en banlieue parisienne et qui, à 19 ans, prend conscience de son attirance pour les femmes. Dans ce récit librement adapté du roman de Fatima Daas paru en 2020, il est moins question d’ancrage religieux que de rapport à soi.
D’apparence très simple, le film raconte le moment de bascule entre la manière dont l’extérieur – la famille, les amis, les institutions sociales et religieuses – nous définit et l’apprentissage de l’introspection pour mieux s’incarner. Qui d’autre que Nadia Melliti, étudiante en STAPS de 23 ans, repérée en casting sauvage sur les quais de Seine, aurait pu figurer ce rôle complexe ? Sauf quand son personnage laisse exploser sa violence au début du film, après qu’un camarade de lycée suggère son homosexualité, l’actrice déploie un jeu rentré, pudique, raccord avec les verrous encore bien serrés de la personnalité et de la sexualité de l’héroïne.
Au fil de ses rencontres avec des femmes (dont l’excellente Park Ji-min, dans la peau d’une infirmière qui sera le foudroyant premier amour de Fatima), on assiste à une forme d’illumination intérieure : pas un changement radical et démonstratif, mais les signes discrets – attitudes, sourire, confiance en soi – d’une révélation à soi-même. C’est l’une des grandes forces de La Petite Dernière : ne pas s’inscrire dans le genre éculé du récit de coming out, mais se faire celui, assez inédit, d’un coming in – ce qui lui a valu de remporter la Queer Palm, décernée par un jury présidé par le réalisateur Christophe Honoré et dont l’autrice de cet édito faisait partie.

En remportant le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, le 24 mai, Nadia Melliti a parlé avec classe et sobriété : « J’ai une émotion, là, qui me traverse. Je ne saurais pas vous la décrire, mais elle est vraiment incroyable. » Elle remerciait Hafsia Herzi – admirative et en larmes dans le public –, «[s]a réalisatrice », choix de mots qui faisait entendre à quel point elle l’avait aidée à s’accomplir.
Comme dans le rôle, on sentait chez elle une retenue, une modestie, et aussi du contrôle. On imaginait là, peut-être naïvement, le fruit de sa pratique du sport, en particulier du foot. Son déroulé de remerciements, méthodique, sans accroche, achoppait soudain sur un « merci maman » qui la fit vaciller, laissant percer son émotion. Cette fois, à l’image de son rôle au fil du film, plus besoin de mise en mots : son corps parlait pour elle. · TIMÉ ZOPPÉ
AU SOMMAIRE DU N°215
EN BREF 🏃♀️
- Nouvelles stars : Valentine Cadic et Jocelyn Charles
- Queer Gaze : Fatima Daas
- Règle de 3 : Molly Manning Walker
- The End : Carol de Todd Haynes
- La sextape : Kika d’Alexe Poukine
CINÉMA 🎥
- En couverture : Nadia Melliti pour La Petite Dernière de Hafsia Herzi
- Retour de Cannes 2025 : portfolio, palmarès, compte rendu
- Entretien : Robin Campillo pour Enzo
CULTURE 🎨
- Expo : Richard Avedon
- Spectacle : le festival d’Avignon
- Musique : Léonie Pernet
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