« Elle entend pas la moto » : à l’épreuve de la surdité

Décrivant les liens qu’une jeune femme sourde entretient avec sa famille, ce lumineux documentaire, tourné sur vingt-cinq ans, bouleverse par la communication libératrice dont il fait l’éloge.


Elle entend pas la moto
© Épicentre Films

Comme bon nombre de grandes œuvres documentaires, Elle entend pas la moto possède un sujet fort, mais surtout une manière très personnelle de lui conférer une dimension romanesque et universelle. Ainsi Dominique Fischbach (réalisatrice de plusieurs docus pour la télévision) dresse-t-elle ici un vivifiant portrait de Manon, mère de famille sourde, qu’elle connaît depuis près de vingt-cinq ans pour l’avoir déjà filmée au début des années 2000, lorsque celle-ci était enfant.

Cherchant depuis toujours à échanger avec le monde qui l’entoure, Manon a grandi avec une sœur non atteinte de surdité et un petit frère atteint du même handicap qu’elle. Et c’est toute l’étendue d’une vie faite d’obstacles, de luttes et d’espoirs qui se déploie sous nos yeux durant l’été que Manon passe – en compagnie notamment de son jeune fils – dans le nouveau chalet de ses parents en Haute-Savoie.

Au cœur d’une splendide nature alpestre, le film atteint des sommets de délicatesse en mêlant archives familiales saisissantes et observation des émotions des personnages. Entre humour régénérant, critique de certaines institutions et immersion sensorielle dans de multiples affects, Dominique Fischbach explore autant les joies que les souffrances vécues par cette famille au fil du temps, et célèbre l’expression d’une parole salvatrice pour ces protagonistes, dont le courage et l’abnégation bouleversent jusqu’au bout.

3 QUESTIONS À DOMINIQUE FISCHBACH

À l’origine du film, il y a une première rencontre avec votre héroïne, il y a près de vingt-cinq ans…

Oui, je travaillais à l’époque pour l’émission Strip-Tease et je cherchais des histoires réelles. J’avais trouvé un personnage central avec Manon, cette petite fille sourde de 11 ans, et une « arène » avec sa famille confrontée à la surdité infantile. Mais le film a été refusé par Strip-Tease ! L’émission L’Œil et la Main l’a finalement diffusé. J’ai ensuite réalisé deux autres documentaires avec Manon, l’un sept ans plus tard et l’autre quand elle était enceinte.

Elle n'entend pas la moto 2
© Épicentre Films

Elle entend pas la moto se distingue de ces précédents documentaires, car c’est votre premier film pour le cinéma…

Je me suis dit qu’il y avait une matière cinématographique, d’autant que les parents de Manon m’ont fourni des archives filmées remplies de choses formidables. Je voulais raconter l’évolution de cette famille en la replaçant dans un contexte présent. Les parents de Manon venaient d’acheter et de rénover un chalet en Haute-Savoie, ce qui me permettait de filmer un nouveau départ durant un été en montagne.

Le film traite au final de communication de façon optimiste…

C’est un film sur la parole, mais aussi sur la pulsion de vie, avec une héroïne magnétique, solaire et réconfortante. La personnalité de cette petite fille rebelle m’a plu dès le départ, il y a vingt-cinq ans. J’ai réalisé grâce à elle que la véritable preuve d’amour est l’écoute. Aujourd’hui, les gens parlent énormément, mais qui écoute ? Manon, cette jeune femme sourde, est beaucoup plus attentive que d’autres. C’est un don et une générosité que de savoir écouter.

Elle n’entend pas la moto de Dominique Fischbach, Épicentre Films (1 h 34), sortie le 10 décembre