Trois films qui ont été essentiels dans votre jeunesse ?
2001. L’Odyssée de l’espace de Kubrick, que j’ai vu à 9 ans, quand je vivais à New York. Ce film a produit sur moi un effet hypnotique, sans que je le comprenne vraiment. J’étais scotchée. La scène initiale, sur l’opéra de Strauss, je n’avais jamais rien vu d’aussi traumatisant. Satyricon de Fellini, vu à 14 ans. Nom d’un chien l’effet que ça m’a fait ! Particulièrement la scène de l’apparition de l’hermaphrodite, que j’ai découverte dans une espèce d’épouvante sacrée. Excalibur de John Boorman, vu à 15 ans. J’avais trop kiffé. Quand j’en suis sortie, j’avais trouvé mon ambition dans la vie : chercher le Graal.
Trois films qui vous font penser à votre père ?
Furyo, surtout le personnage de Mister Lawrence, le négociateur. Être capable de négocier à ce degré-là de barbarie… C’est vraiment papa. Pluie noire de Imamura. La pudeur dans l’horreur de la bombe atomique. Diplomatie avec Niels Arestrup, qui raconte comment un diplomate danois a sauvé Paris en négociant avec les nazis. Mon père aurait fait ce genre de choses.
Trois films qui traitent du deuil avec justesse ?
Sous le sable de François Ozon, qui nous apprend qu’il est très important de ritualiser la mort pour le processus du deuil. Aujourd’hui, j’entends tellement de gens dire : « Oh, si je meurs vous me brûlez et on n’en parle plus ! » C’est très égoïste, comme démarche, on ne pense pas aux autres. Il faut une cérémonie pour les autres, et il faut un corps aussi, dans la mort.
Departure, un film japonais sur un thanatopracteur, qui accorde justement une place énorme à ce que devient le corps du défunt pour les survivants. Bleu de Kiesloswski. Une femme perd son mari dans un accident de voiture, et se rend compte qu’il avait une double vie, puisqu’il meurt avec son amante. Ça raconte comment elle survit à ça, comment elle l’accepte, et comment elle peut recommencer à aimer après.
Décrivez-vous en trois personnages de films.
Wednesday Addams, dans La Famille Addams. Enfant, j’étais vraiment cette petite fille-là. La deuxième réponse est hyper prétentieuse, je vous prie de m’excuser : c’est le personnage joué par Kim Novak dans Vertigo. Je la comprends très profondément. Sa façon d’aimer, de mentir, d’être vraie dans le mensonge… Le personnage d’Antoninus dans Spartacus. Lui aussi, j’adore sa façon d’aimer. A la fin, Spartacus et Antoninus doivent combattre à mort dans l’arène, le survivant sera crucifié. Ce n’est pas dit, mais on sent qu’ils s’aiment, chacun veut assassiner l’autre pour lui épargner la crucifixion. Ça donne la scène d’amour la plus stupéfiante de l’histoire du cinéma.
L’acteur ou l’actrice dont vous étiez amoureuse, à 13 ans ?
Harrison Ford. D’abord dans La Guerre des étoiles, que j’ai vu en Birmanie, où je résidais avec ma famille, un peu après sa sortie au cinéma. Plus tard, j’ai vu Les Aventuriers de l’Arche perdue et ça s’est confirmé. Je me suis dit : « Vraiment, Harrison Ford, c’est l’homme idéal ! »
Trois films qui pourraient ne s’adresser qu’à vous ?
Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. J’ai eu l’impression que ce film était uniquement destiné à me faire jouir. Cette histoire d’amour fou sur fond de haute couture et d’empoisonnement… C’était un complot pour me plaire. Les Deux anglaises et le continent. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais c’est le film qui a le plus modifié ma vie. Si je ne l’avais pas vu, à 12 ans et demi, je ne serais pas la personne que je suis. Le Château de l’araignée, de Kurosawa. Macbeth version Kurosawa, c’est énorme.
Vos trois plus beaux souvenirs de cinéma ?
L’Etrange Noël de monsieur Jack. Je n’étais pas enfant quand je l’ai vu mais c’est le film de Tim Burton qui m’a le plus replongée en enfance, il me l’a rendue. Le bonheur total. La Ballade de Narayama, en particulier la dernière scène, celle où la mère renvoie le fils. Elle entre en lévitation, elle attend la mort, le fils ne peut pas se résoudre à l’abandonner, il revient vers elle et elle a ce geste pour lui signifier « Petit, vas-t-en. » C’est extraordinaire, j’ai la chair de poule rien que d’y penser.
Barry Lyndon, que j’avais vu à 10 ans. Je l’ai revu un très grand nombre de fois et la magie opère toujours. C’est très classique et en même temps, les scènes de séduction, quand Barry Lyndon séduit les femmes, sont des enchantements. En particulier quand il séduit celle qui va devenir sa femme, avec la musique de Schubert et d’Haendel, c’est incroyable.
Trois cinéastes pour raconter votre vie ?
Ce serait Hitchcock, Truffaut et . Hitchcock est pour moi le cinéaste le plus important. On n’a jamais fait aussi bien. C’est aussi un peu mon modèle littéraire, en particulier pour le rythme. Pour Truffaut, je pense en particulier à Jules et Jim, là aussi un grand modèle de rythme. Kurosawa parce que c’est le Japon épique, celui des combats. Ça me parle énormément.
Le film que vous pourriez regarder à 3h du matin, juste avant d’aller écrire à 4h ?
C’est impossible. Avant d’écrire, il faut que ça soit le sommeil, soit l’insomnie. Mais il faut que ça soit ce néant-là. Il n’existe pas de film équivalent au néant.
: Premier Sang d’Amélie Nothomb (éd. Albin Michel, 180 p.)
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