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Sébastien Marnier : « Pendant un temps, je voulais être Patrick Swayze. Dans ‘Ghost’, il a presque un côté queer »

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-01-31

En trois films implacables (« Irréprochable », « L’Heure de sortie » et « L’Origine du mal »), où se confondent drôlerie, surnaturel et inquiétante étrangeté, Sébastien Marnier a prouvé que le cinéma de genre en France pouvait slalomer entre les clichés. Au Festival du Film Fantastique de Gérardmer, où il était jury de la compétition officielle, on a soumis à ce réalisateur iconoclaste et plein d’auto-dérision notre questionnaire cinéphile.

Décris-toi en 3 personnages de fiction. 

J’ai eu une grande période Freaks de Tod Browning (1932). Je m’identifie beaucoup à ces monstres de cirque. En fait, je réalise que j’ai toujours aimé l’horreur parce que c’est un cinéma peuplé d’outsiders. Vous n’êtes pas prêt pour le grand écart, mais pendant un temps, je voulais être Patrick Swayze. Dans Ghost (1990), il est hyper beau, c’est un mort, il a presque un côté queer dans sa virilité.  

Ado, j’étais complètement fan d’Elvira [star de série Z excentrique, interprétée par Cassandra Peterson dans un feuilleton télévisé, puis dans deux films, Elvira, maîtresse des ténèbres et Elvira et le Château hantéet grande icône camp des années 1980, ndlr]. J’aimais ce personnage punk, fantasque, qui effrayait les gens. C’était une vraie punk Elvira, pas comme moi. Moi, j’avais un look punk, mais en fait je ne l’étais pas vraiment, c’était pour faire genre… Avec mes amis, on aimait que les gens changent de trottoir en nous voyant. Alors qu’au fond, on était juste une bande de petits mecs. un peu angoissés, tu vois [rires].  

Je la suis toujours sur Instagram. Il y a trois ans, elle a fait son coming out lesbien. Alors qu’elle a tellement joué sur ce fantasme hétéro de la bimbo, ces codes du sexy, sans être une actrice porno. Je trouve ça intéressant.

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3 films que vos parents vous ont montrés ?  

J’ai eu la chance d’avoir des parents hyper cinéphiles, qui avaient quand même une haute idée de la culture. J’ai grandi à Saint-Denis, au début des années 1980. Autant vous dire qu’ils me traînaient dans des tas de festivals de films de l’Est, communisme oblige. Des films hongrois, roumains…  

Au centre culturel Jean-Houdremont, à la Courneuve, ma mère me lisait les sous-titres à voix haute parce que j’avais 5 ans… Ce n’est pas tant les films que l’esthétique Europe de l’Est des années 1970-1980 qui m’a marqué. Je crois que j’ai compris à ce moment-là que le cinéma allait changer ma vie.

Bref, à 7 ans, ma mère m’amène quand même voir un film américain : Les Raisins de la colère de John Ford. Ça m’a tué. C’était pas du tout le genre de trucs sérieux que j’avais envie de voir au cinéma. Pour faire chier mes parents, j'ai amené mon père voir A la poursuite du diamant vert de Robert Zemeckis, beaucoup plus commercial. Il fait un infarctus ! En même temps, c’était tellement misogyne, toute cette thune, cette sur virilité… Moi je voulais juste voir de l’aventure. Après, ce tropisme pour l’Europe de l’Est m’a permis de résister à l’hégémonie des films américains.  

Il faut quand même que je trouve un film qu’ils m’ont montré et que j’ai aimé. Parce que déjà que depuis L’Origine du mal, ils veulent me déshériter… Ah ça y est, j’ai trouvé. Mes parents étaient allés à voir Requiem pour un massacre d’Elem Klimov. Ils sont rentrés à la maison dans un état… Ma mère était pâle, avait fait un malaise… C’est devenu le film culte que je n’avais pas vu. Quand je l’ai découvert à 25 ans, je les ai appelés pour le dire : « C’est génial ! »

Dernier souvenir pour la route : Indiana Jones et le Temple maudit de Steven Spielberg avec ma grand-mère. Elle terrifiée, moi mort de rire. J’avais quand même une famille complètement tarée, parce que je me souviens de cette scène où ils sont dans le noir dans un tunnel, et un gamin dit : « On dirait qu’on marche sur des biscuits apéritifs. » Alors que c’était des bouts de verre et des cafards !  Après ça, à chaque Noël, ma grand-mère venait vers moi et cassait des Tucs dans mon oreille pour imiter le bruit. Bon là avec India Jones et Requiem, on a une opposition bloc de l’Est/bloc de l’Ouest parfaite, et Les Raisins de la colère au milieu. Ce mélange a foutu un petit bordel dans ma tête à l’époque. 

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3 films qui t’ont initié au genre ? 

Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Vu au vidéo club, à 12 ans, la même semaine qu’Orange mécanique de Stanley Kubrick. A deux jours d’écart. J’étais tétanisé. J’ai compris beaucoup de choses sur les raisons de mon amour pour le cinéma, mais aussi, bizarrement, sur ma vie tout court.   

Dans Orange mécanique, un moment particulier m’a terrorisé : quand Alex revient chez le mec après avoir abusé la femme et qu’il chante le refrain de Chantons sous la pluie. Le vieux fait une crise d’épilepsie, et là il y a un fish eye [objectif qui distord l’image en la courbant, ndlr] sur lui en train de baver, avec en fond cette musique qui est l’antithèse de la terreur. L’objectif qui déforme l’image pour créer un truc angoissant, le choix de la texture, de la prise de vue anamorphique, c’est génial. Ce n’est pas pour faire genre j’adore la technique tout ça, mais quand même, mon rapport à l’image, au plan, vient de là. Et on fait aussi des films pour se rappeler les images qui ont créé un désir de cinéma chez nous.  

Et puis Shining. Dès le générique de début, cette caméra aérienne là, menaçante, j’ai eu super peur. Le massacre des Indiens, la violence des images… Je n’avais pas capté les thèmes politiques de ces films. C’est la forme qui m’a interpellé.  

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3 personnages de méchants qui te fascinent ? 

Catherine Tramell dans Basic Instinct de Paul Verhoeven. Je ne sais pas si elle est coupable, innocente, je m’en fous. C’est juste un choc esthétique et érotique de fou à 15 ans. D’un seul coup, Sharon Stone prend tout l’espace avec cette virilité hyper forte, ce côté masculin que tous les personnages féminins de Verhoeven. On a critiqué Verhoeven pour sa misogynie, mais il a écrit des personnages féminins inoubliables. Prenez Isabelle Huppert dans Elle : fait par n’importe qui d’autre, ça aurait été un énième film bourgeois sur une bourgeoise.  

Si on va dans les trucs un peu plus nazes, il y a ces héroïnes hyper badass, sexy des années 1990, comme Jennifer Jason Leigh dans JF partagerait appartement de Barbet Schroeder. Un film réac’ à plein d’endroits, mais qui était important car méga cul. Ce n’était pas si souvent qu’on avait des femmes héroïnes impertinentes - ce combat féministe vient de mes parents, chez qui c’était hyper important.  

Je repense souvent à Linda Fiorentino dans Last Seduction de John Dahl. Elle vole de la thune aux mecs avec qui elle couche, est hyper vénéneuse… C’est une lionne, elle a du chien. Surtout, toutes ces filles sont hyper intelligentes.  

Cette question me ramène au temps où je cherchais des financements pour mon premier film, Irréprochable. J’ai eu un mal fou à le faire, justement parce que j’y adoptais le point de vue de la méchante [Marina Foïs, dans le rôle d’une femme au chômage prête à tout pour récupérer un poste attribué à une concurrente, jouée par Joséphine Japy, ndlr]. On me disait : « Si tu étais du côté de Joséphine Japy, ton film serait financé en un clin d’œil. » Bonus : Hannibal, le plus beau méchant qui soit. 

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3 grands films paranoïaques sur notre époque ?  

Ouh c’est dur ! Tu en as toi ? It Follows de David Robert Mitchell, un des derniers films qui m’a vraiment foutu les chocottes. Sur la distanciation sociale, le virus, la peur de l’altérité, le film a pris une ampleur vertigineuse après le Covid. Je me souviens aussi de la tirade du personnage survivaliste d’Adèle Haenel dans Les Combattants de Thomas Cailley, où elle alerte sur le coronavirus. Un film génial par ailleurs, qui m’a aidé à comprendre que dans un film de genre, on se fout de l’étiquette, c’est la porosité qui compte.

Petit Paysan d’Hubert Charuel, ou comment utiliser les codes du thriller pour décrire la détresse du monde agricole. Ce plan de vaches qui saignent au bord de l’eau, c’était terrifiant… Jusqu’à la garde de Xavier Legrand [drame sorti en 2017 qui évoque le harcèlement et les violences conjugales au sein d’un couple en train de se séparer, ndlr]. Le pire film d’horreur du siècle. Un Shining redigéré par le genre français – je pense à ce plan où Denis Ménochet arrive derrière la porte avec sa hache. Ce qui me fait peur, c’est le réalisme. Les films d’esprit, de fantômes, c’est inoffensif. 

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3 réalisateurs avec qui tu aimerais dîner ? 

Ceux que je suis depuis toujours. D’abord Lars von Trier. Son cinéma me touche à des endroits étranges, même avec des films très peu aimables comme Nymphomanic, qui est une épreuve, ou The House That Jack Built, où il est du côté du serial-killer. Melancholia, c’est une espèce de film parfait et en même temps trop bizarre sur la dépression. La narration, la façon dont les personnages se racontent sont dingues. 

Pedro Almodóvar, pour parler de sa trajectoire qui m’impressionne : comment, après avoir été si punk, il arrive à un moment donné de sa carrière à faire des films parfaits comme Parle avec elleVolver ? Il y a eu la période Movida [courant espagnol né après la mort de Franco, porté par un désir de renouveau inspiré de la New Wave britannique, ndlr] puis le mélo, la tragédie, pour en arriver à sa propre dépression, à son dépérissement personnel. C’est émouvant de le voir passer de l’un à l’autre. Parce que vieillir c’est dur, mais c’est aussi très beau, c’est la maturité.   

Ces réalisateurs, après avoir fait tant de films, cherchent toujours, se disent encore : comment je vais faire un chef d’œuvre ? Ils se fichent que ça ne marche pas à tous les coups, ont trouvé une paix tout en restant attentifs. J’adore cette intention, ce fétichisme de la mise en scène qui prime, au point qu’on pourrait presque dire que ce sont des films renfermés sur eux-mêmes, qui digèrent leur propre forme, peuvent vous laisser de côté. Ils ont atteint une grande maturité mais continuent d’être à la fois obsessionnels et tarés. Ils cherchent la forme la plus classique pour raconter ça. C’est ce que fait Steven Spielberg avec son remake de West Side Story. Et ce sera mon dernier choix !  

Portrait (c) Festival du Film Fantastique de Gérardmer

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