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Rétrospective Jean Eustache : odes aux pauvres types

  • Thomas Choury
  • 2023-06-06

Après la (re)découverte sur grand écran de son chef-d’œuvre légendaire « La Maman et la Putain » l’an dernier, treize films de Jean Eustache (fictions, courts métrages, documentaires, essais) ressortent en salles en copies restaurées.

L’événement que représente cette rétrospective tant attendue permet enfin d’appréhender l’intégralité de l’œuvre aussi brève qu’unique de Jean Eustache. Et cela ne rend que plus éclatante la cohérence poétique qui la traverse de part en part. Une sentence claque, au milieu de Mes petites amoureuses (1974) : « Tu veux faire le malin, mais tu seras comme nous, toujours un pauv’ type. »

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Elle est d’autant plus marquante qu’elle surgit presque par effraction dans la bouche de Maurice Pialat – cinéaste camarade, si proche dans ses manières et ses exigences –, venu, le temps d’une scène, faire la leçon au héros incarné par Martin Loeb, alter ego fictionnel du jeune Eustache. Les figures de « pauv’ types », de combinards, de flambeurs, de goujats, de vicelards peuplent son œuvre et ne cessent de se faire écho. Les péroraisons d’Alexandre dans La Maman et la Putain (1972) sont aussi vaines et désenchantées que la drague dominicale piteuse des deux amis des Mauvaises fréquentations (1967), que les confidences perverses et irrécupérables de Jean-Noël Picq et Michael Lonsdale dans Une sale histoire (1977) ou que la bonhomie morale des discours du maire de Pessac, présidant les fêtes anachroniques de la rosière dans La Rosière de Pessac (1969).

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Ces divers éclats de médiocrité masculine, montrés sans complaisance, sont peut-être autant d’autoportraits tristes. Dans les mondes d’Eustache, tout repose sur le langage, diffracté en une multitude de registres contradictoires dispersés à travers les films. La parole blanche et raréfiée raidit Le Père Noël a les yeux bleus (1967) ou Mes petites amoureuses (1974). Les verbiages cuistres portent les films parisiens, mais se vidangent dans des logorrhées intimes qui s’apparentent à des libérations. Le dispositif dépouillé de Numéro zéro (1971) est un écrin pour les mots inouïs d’Odette Robert, la grand-mère du cinéaste, refaisant avec droiture et malice le roman de sa vie trop ordinaire. Les puissances mêlées du récit et du sexe se troublent et se déglutissent dans les longues tirades célèbres de La Maman et la Putain ou d’Une sale histoire, transformées en coulis sonore, visqueux et cru. L’amour est littéralement un vomi incandescent.

Jardin des délices de Jérôme Bosch (1980)

L’obscénité est ailleurs, dans les langages officiels et cérémoniels, dans les mots du pouvoir : la graphologue d’« Offre d’emploi » (1982), segment de la série télévisée Contes modernes, expédie ses absurdes conclusions psychologiques pour cataloguer les candidats. À cette violente inconséquence, Eustache oppose le rire : les dissociations de sens, qui s’opèrent aussi bien dans la description ivre du Jardin des délices de Jérôme Bosch (1980) que dans son ultime court métrage, Les Photos d’Alix (1980), sonnent comme une hilarante revanche des ratés.

Image de couverture : Le Père Noël a les yeux bleus (1967)

« Rétrospective Jean Eustache »

Treize films, Les Films du Losange, sortie le 7 juin

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