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PORTFOLIO · Alain Guiraudie : « J’aime immortaliser les lieux qui ont porté un élan avant de s’effondrer »

  • Léa André-Sarreau
  • 2024-05-24

Alain Guiraudie aime les décentrements géographiques : un lac miroitant aux pieds des gorges du Verdon dans « L’inconnu du Lac » (2013), les allées paranoïaques de Clermont-Ferrand dans « Viens je t’emmène » (2022), sa campagne natale aveyronnaise dans « Miséricorde » (2024), que l’on découvrira cette année à Cannes Première. Rien d’étonnant à ce que le festival du Nouveau Printemps, dédié à la création contemporaine, lui ait demandé d’imaginer un parcours urbain pour sa deuxième édition, qui se tiendra du 30 mai au 30 juin 2024 à Toulouse. Au cœur du quartier des Carmes/Saint-Etienne, le cinéaste a invité de jeunes artistes à exposer in situ leurs œuvres hybrides. Utopies en déliquescence, projections consolatrices ou catastrophes terrifiantes : toutes bricolent une promesse d’avenir collective, entre enfer et paradis. Pour TROISCOULEURS, Alain Guiraudie commente certaines de ces installations, étrangement familières avec son cinéma post-individualiste.

On achève bien les discos, Tony Regazzoni, scénographie immersive, 2022 © ADAGP, coproduit par le CACC – Clamart. Alexis Leclerc – CACC

«  Le projet de cet artiste contemporain est une installation en forme d’opéra-vidéo, qui revisite des lieux de fête désaffectés. Son titre évoque le film de Sidney Pollach, On achève bien les chevaux [sur les marathons de danse organisés aux États-Unis pendant la Grande Dépression, ndlr]. Tony Reggazzoni a sillonné le nord de l’Italie pour capturer l’esprit de boîtes de nuit immenses, fastueuses, saturées de couleur, inspirées de l’imagerie gréco-romaine. Ces temples du simulacre sont aujourd’hui tombés en désuétude, abandonnés à eux-mêmes en zones périurbaines. Je suis fasciné par les traces qu’ont laissées ces endroits ritualisés. Dans les années 1980, ils incarnaient une apogée, un projet utopique, une façon de s’amuser à la fois marchande, capitaliste et libre. On y faisait corps commun dans la musique. J’aime immortaliser les lieux qui ont porté un élan avant de s’effondrer, ces nouveaux vestiges - un peu à l’image des friches industrielles. Quelque chose de profondément nostalgique et postmoderne se dégage de ces friches adolescentes. » 

Alain Guiraudie : « Je cherche à trouver ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous éloigne »

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Les Oracles, Alice Brygo et Louise Hallou, installation vidéo, 2024 © (still) Alice Brygo

« J’ai fait appel à Alice Brygo car elle a réalisé un film formidable, Les îles périphériques (2022). Il racontait le croisement de deux communautés de passage au bord d’une autoroute : des fêtards en fin de rave d’un côté, et des jeunes exilés afghan de l’autre. Les Oracles, [coréalisé avec Louise Hallou, ndlr] s’intéresse aussi à des êtres invisibles, marginaux. L’artiste a demandé aux résident·es d’un Ehpad d’imaginer des récits de science-fiction poétiques à partir de leur quotidien [ces histoires, partagées lors d’ateliers de lecture, ont ensuite été intégrées dans un documentaire réalisé collectivement par Alice Brygo et les personnages âgées de l’Ehpad, ndlr]. Au cœur du projet, il y a la notion de présage, de projection – mais du point de vue des aînés. On est précisément dans ma définition de ce que peut être le « printemps » au sens artistique:  des promesses d’avenir, formulées par des êtres au crépuscule de leur vie. L’écart est vertigineux. J’aime aussi cette démarche qui consiste à aller vers un objet a priori peu désirable : un EPHAD, c’est laid. Alice Brygo filme ce lieu sans artifices, avec une lumière naturelle, décharnée. »  

CANNES 2024 · « Miséricorde » d’Alain Guiraudie : Cet obscur objet du désir

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Zehefology, Sara Sadic, installation vidéo, 2023 © Courtesy of the artist

« Le travail de Sara Sadic m’interpelle, entre usage des nouvelles technologies et codes du jeu vidéo. Son esthétique est à la fois prosaïque, concrète, et touche à quelque chose de purement existentiel. Son film Zehefology repose sur une ligne épurée : la modélisation d’un jeune homme solitaire, et ses mouvements. Ce dernier erre dans un centre commercial abandonné, et s’imagine appartenir à une communauté ayant inventé un nouvelle souche de cellules capables de les protéger de toutes les douleurs du monde. Tourné en caméra thermique, saturé de couleurs jaunes, oranges, violettes, le film est très plastique. Il frôle la peinture, la danse chorégraphiée, comme obnubilé par cette silhouette fébrile. La voix-off nous plonge dans l’intériorité, la sensorialité de ce personnage qui se perd dans un long monologue intérieur. Sara Sadic créé sa propre mythologie futuriste. » 

Expo : « Alain Guiraudie – Photographies »

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Deep weather, Ursula Biemann, film, 2013 © MAC Biennale Montreal

«  Le documentaire d’Ursula Biemann est un essai très brut et expérimental - je n’avais jamais vu des images embrassant à ce point les désastres de l’industrie pétrolière. Il fait s’alterner les images d’un complexe d’extraction de carbone au Canada et, à l’autre bout du monde, des inondations au Bangladesh. Cette superposition devient le symbole d’un capitalisme outrancier qui a grignoté le paysage sur des hectares, et provoqué le dérèglement climatique anthropique. Au milieu du désastre, des hommes luttent contre la montée des eaux, en construisant littéralement un barrage contre le pacifique avec des sacs de gravas. Le film est aussi tragique que sidérant visuellement, avec ses sables bitumineux, ses fontes de glace.  » 

Alain Guiraudie : « Est-ce qu’on veut vivre sous vide ou en harmonie avec la nature ? »

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Le Nouveau Printemps par Alain Guiraudie, du 30 mai au 30 juin à Toulouse 

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