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« Mon Amour » de David Teboul : recueillir le souvenir

  • Quentin Grosset
  • 2022-06-13

Dans ce journal de deuil bouleversant, le cinéaste David Teboul remonte le fil de son histoire d’amour avec un homme disparu en 2007, tout en partant au fin fond de la Sibérie interroger des villageois isolés sur leur rapport au sentiment amoureux. Aussi consolateur qu’inapaisé.

Réalisateur travaillant principalement pour la télévision (dernièrement, le très beau documentaire Hervé Guibert. La mort propagande, déclaration d’amour à l’écrivain), David Teboul vit avec cette question : à quoi sert d’aimer si on ne peut pas sauver ? En voix off, dans un texte à vif qui ressemble à une mise à nu, il s’adresse à nous ou à son amour disparu, en se remémorant leur histoire. Deux ans après avoir quitté Teboul, cet amoureux, Frédéric, s’est perdu dans la défonce ; il en est mort, à 37 ans. Le documentariste-narrateur se dit comme amputé, portant la culpabilité de ce décès qu’il n’a pas pu empêcher. Teboul est alors parti très loin, en Sibérie – Frédéric aimait les paysages secs et glacés.

On pense un peu à Ce répondeur ne prend pas de message (1979) d’Alain Cavalier, dans lequel le protagoniste, après la mort de sa femme, peignait son appartement en noir jusqu’à disparaître – Mon amour en est presque le contrepoint, puisque Teboul va comme se perdre dans de grandes étendues blanches. Mais, ici, le cinéaste va à la rencontre d’inconnus, les interviewant sur leurs amours passées, comme pour recomposer le magma insensé de son histoire à travers d’autres fragments de discours amoureux.

Chaque entretien est intense, remuant : David Teboul leur pose les questions les plus simples du monde (« Est-ce que vous l’aimez autant qu’il vous aime ? Vous ne pouvez pas vivre sans lui ? »), et on a le sentiment que ces personnes, filmées dans une lumière douce, ne se sont jamais confiées auparavant, que leurs visages plissés par le temps ou la tristesse se recolorent au fil de chaque souvenir.

C’est par exemple cette vieille dame qui a perdu son fils et se rappelle une rencontre de jeunesse au cinéma, ou ce vieil homme qui a dû quitter sa femme parce qu’il avait le mal du pays – il dit qu’il ne l’a pas vue depuis 1998 mais qu’il l’aime toujours. Le moment le plus déchirant a lieu lorsque Teboul recueille les mots d’un homme qui vient de devenir père et que sa propre mère a battu lorsqu’il était enfant. Cette histoire d’enfance meurtrie résonne autant avec celle du cinéaste qu’avec celle de son amour disparu. Dans cette solitude partagée, il y a quelque chose qui ne pourra jamais être pacifié, mais aussi quelque chose de réconfortant.

Mon amour de David Teboul, Rezo Films (2 h 53), sortie le 15 juin

Images (c) Les Films d'Ici

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