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Franck Finance-Madureira, fondateur de la Queer Palm : « Notre vision du queer est politique, intersectionnelle »

  • Léa André-Sarreau
  • 2021-07-08

Co-rédacteur en chef de « FrenchMania », média dédié aux films et séries françaises, et journaliste pour Têtu, Franck Finance-Madureira a fondé en 2010 la Queer Palm, destinée à récompenser une œuvre cannoise attentive aux questions LGBTQ+ et féministes. Alors que la 74e édition du festival vient de débuter, ce militant cinéphile nous a parlé du symbole politique de ce prix, et des avancées sociétales dont il se fait l’écho.

Chaque semaine, Trois Couleurs donne la parole à une personnalité du cinéma ou de la culture. Ils et elles nous racontent leurs engagements à travers les moments-clé de leur parcours.

Avant de créer la Queer Palm, vous vous êtes occupé de la communication de l’association Act Up Paris au début des années 2010. Comment est né votre engagement militant ?

J’avais vingt ans en 1993, une décennie où le sida était dévastateur en France – on parlait des « années d’hécatombe ». Dans mes cercles d’amis, j’avais pas mal de gens touchés. Ça a été important pour moi de me mobiliser plus tard au sein d’Act Up. Là-bas, on considérait que le pouvoir, c’était de détenir le savoir, l’information. A l’origine, l’association a été créée par des gens touchés par le virus du sida, qui avaient à cœur d’être des experts de leur propre maladie. Ça leur conférait une vraie position de pouvoir, leur donnait la possibilité de parler d’égal à égal avec les décideurs politiques, qui faisaient peu cas de cette maladie qui touchait particulièrement les homosexuels, les drogués et les travailleurs immigrés. En tant que responsable de la communication pendant un an là-bas, c’est cet engagement au cœur de l’information que j’ai appris. 

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Votre travail en tant que de journaliste a-t-il compté dans la construction de votre engagement ?

Lorsque j’ai fait l’école de journalisme à Tours, c’était pour être critique. C’était ma passion, j’écrivais des textes dans des revues que j’inventais à six ans… L’engagement, il peut aussi naître d’un regard critique sur les films. Justement, je pense qu’un film est fort quand il expose des aspects de la société que l’on ignore, que l’on n’avait pas vus sous cet angle-là. Le cinéma fonctionne quand les réalisateurs et réalisatrices ont un point de vue, et c’est toujours un engagement de leur part. A nous, quand on réceptionne un film, d’y être sensible ou non, ou d’être en opposition.

On a souvent tendance à croire que le cinéma est l’art de la passivité, mais c’est faux. Un spectateur n’est jamais passif. L’un des sentiments très forts procurés par le cinéma, et c’est sans doute l’un des seuls arts à le permettre, c’est l’empathie. Au cinéma, je peux ressentir les expériences de quelqu’un qui n’est pas moi, qui n’a pas mon identité de genre, qui n’est pas blanc. Comprendre l’altérité, donc devenir quelqu’un de meilleur. C’est pour ça que le cinéma doit représenter tout le monde, parce que l’empathie a un poids et une force considérables. Prenez Brokeback Mountain [de Ang Lee, sorti en 2005, ndlr]. Ce très bon film a eu un succès incroyable aux États-Unis, au moment où le débat sur le mariage pour tous commençait à s’ouvrir, et il a fait avancer les mentalités à ce sujet.

D’autres films ont joué un rôle dans votre éveil politique ?

Personnellement, il y a eu My Own Private Idaho de Gus Van Sant (1991), sorti à la fin de mon adolescence. Je m’y suis projeté, il m’a aidé à grandir, m’a donné des clés que je n’avais pas, ouvert des portes. J’ai toujours envie de citer Shortbus de John Cameron Mitchell (2006). Quand je l’ai vu à Cannes en Séance de minuit, j’ai pris conscience de l’importance de récompenser des films aussi barges que celui-là, qui explosait toutes les cases, représentait une ouverture d’esprit aussi folle.

Comment et quand est née l’idée d’une Queer Palm ?

En 2010, après une année chez Act Up, l’idée de reprendre une petite vie de journaliste à la pige, à droite à gauche, ne me suffisait pas. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de monter la Queer Palm à Cannes. Je n’ai rien inventé, je me suis inspiré du Teddy Award de la Berlinale qui existe depuis 1987. Je me disais : « Le festival le plus important du monde n’a pas cette mise en avant de la diversité ». Alors j’ai créé ce prix LGBTQ+ en partant de rien, de manière complètement libre et off.

J’ai envoyé un mail à Thierry Frémaux, puis j’ai monté un jury avec des organisateurs de festivals LGTBQ+ français, et quelques journalistes que je savais intéressés par la question. Le premier lauréat du prix a été Kaboom de Gregg Araki (2010) qu’on a remis au Zanzibar – un bar de marins incroyable, qui se targuait d’être le plus vieux bar gay d’Europe, avec des fresques hallucinantes, qui a fermé l’année suivante. Dès cette année-là, il y a eu un écho dans les médias français et à l’international. On a senti que le festival de Cannes avait besoin de se réveiller en mettant en avant des œuvres issues de la diversité.

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En tant qu’organisateur de la Queer Palm, quelles convictions portez-vous ?

L’écoute. Si je suis journaliste, cinéphile et spectateur, c’est parce que j’aime écouter les gens, leurs expériences. La première conviction pour faire avancer les choses à son niveau et être engagé, c’est se dire que l’autre a toujours des choses à nous apporter. Et ne jamais se reposer sur ses lauriers. Onze après la création de ce prix, nous travaillons sur une phase deux de la Queer Palm. Il s’agira de choisir et d’aider des projets de premiers longs-métrages de réalisateurs LGBT. L’idée, c’est de mettre la main à la pâte à notre humble niveau, pour faire profiter de nos contacts à des talents qui ont moins facilement accès à des parcours traditionnels de cinéma.

Quelles luttes s’incarnent dans les films en lice pour la Queer Palm cette année ?

Je n’ai pas vu tous les films, mais il y a une énorme diversité entre les différentes sélections. Certains ont l’air d’être des blockbusters français – je pense à Titane [de Julia Ducournau, en Compétition officielle, ndlr], très attendu. D’autres sont beaucoup plus intimistes, comme le film chinois Money Boys [de Yilin Chen Bo, sélectionné à Un Certain regard, sur un jeune homme qui se prostitue pour subvenir aux besoins de sa famille, ndlr]. Cette diversité est réjouissante, parce qu’elle prouve que l’on va vers une sorte de normalisation de ces sujets.

Vous pouvez avoir des films de genre avec des personnages LGBT, sans que ce soit le sujet ni l’enjeu de l’intrigue – c’est une phase que l’on vit en ce moment et qui est très intéressante. Je suis aussi curieux de découvrir la façon dont Catherine Corsini s’empare des Gilets Jaunes avec La Fracture [en sélection officielle, ndlr]. J’ai beaucoup aimé Petite nature [de Samuel Theis, présenté à la Semaine de la critique, ndlr], qui parle du désir chez un enfant, sujet éminemment complexe. Et puis il y a des films complètement politiques, comme Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot [présenté à la Quinzaine des réalisateurs, ndlr], basé sur le livre de Didier Eribon, dont le réalisateur a davantage gardé l’axe féministe que gay. C’est un vrai brûlot politique qui a une force incomparable.

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Beaucoup de films qui concourent pour la Queer Palm s’inscrivent dans une perspective de décloisonnement, justement comme Retour à Reims, qui évoque le parcours d’un transfuge de classe et la honte de l’homosexualité dans le milieu ouvrier. Cette démarche vous tient à cœur ?

Si le prix s’appelle « Queer Palm », et non pas « Gay Palm » ou « LGBT Palm », c’est parce que nous avions envie de rester ouverts. « Queer », c’est tout ce qui sort de la norme, du straight, qui fait un pas de côté. Des œuvres féministes, qui remettent en cause les normes de genre, sont des films queer qui ont toujours eu leur place. Notre vision du queer est très politique, intersectionnelle. En même temps, je dis chaque année à mon jury [présidé cette année par Nicolas Maury, entouré de Josza Anjembe, Roxane Mesquida, Vahram Muratyan et Aloïse Sauvage, ndlr] que les films ont été choisis pour leur thématique, mais que la Queer Palm est avant tout un prix de cinéma. Quand ils délibèrent, la mise en scène prime.

Les films LGBTQ+ sont de plus en plus primés dans les grands festivals (120 battements par minute, La vie d’Adèle, L’Inconnu du lac). Y voyez-vous une reconnaissance de votre lutte contre l’invisibilisation des minorités ?

J’y vois surtout une évolution de la société, qui se réplique dans le milieu du cinéma. En 2010, nous n’avions que cinq ou six films sur lesquels débattre, toutes sélections confondues. Cette année, il y a dix-sept longs métrages qui concourent pour la Queer Palm. En onze ans, le chiffre a triplé. L’évolution est naturelle, mais la création d’un prix a eu l’effet d’un appel d’air.

Malgré tout, cela reste très compliqué de travailler sur ces questions en France. Nous avons créé un budget participatif, en faisant appel à plusieurs distributeurs, producteurs et diffuseurs qui croient en l’importance de la Queer Palm. Mais j’ai encore du mal à mobiliser de grosses marques, alors qu’aux États-Unis, nous aurions eu plus de sponsors. On voit d’ailleurs que la presse gay en France a toujours eu du mal à vivre. Pour que des annonceurs n’aient pas envie d’aller sur ce terrain-là, c’est qu’ils ont un problème avec leurs clients, que ça brouille leur image… En France, on est dans des débats un peu datés, et ça se ressent dans l’industrie du cinéma. Moins de dix films français par an mettent en scène des personnages LGBTQ+. Donc il y a une évolution, mais la marge de manœuvre est encore large.

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Photographie : Andréa Emmanuelli

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