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John Cameron Mitchell : radicaux libres

  • Timé Zoppé
  • 2018-06-19

Pourquoi confronter des punks à des extraterrestres, 
deux communautés de marginaux ?
C’est vrai que les aliens du film forment une communauté en marge, mais ils sont surtout très repliés sur eux-mêmes. Ils ont accepté l’idée de l’apocalypse et se mettent à manger leurs propres enfants pour préserver l’environnement, dans un lent suicide collectif. C’est une forme étrange de conservatisme, une haine de soi un peu paresseuse, à laquelle les punks réagissent avec vigueur. « On est vivants, on aime danser, tomber amoureux, manger et chier, mais on est aussi là pour réparer ce que nos parents ont bousillé. Accepter la mort, c’est baisser les bras ! » Le film s’adresse avant tout aux jeunes, pour leur faire sentir que c’est possible d’arranger les choses, qu’on n’est pas condamnés à fermer nos frontières et à mourir entre Blancs. Au contraire, il faut les ouvrir et que les punks baisent avec les aliens pour faire naître un nouvel enfant !

Pourquoi avoir fait des trois ados lambda de la nouvelle de Neil Gaiman, dont le film est adapté, des punks ?
Quand ma coscénariste, Philippa Goslett, a rencontré Neil, il lui a raconté qu’à l’adolescence, dans la petite ville anglaise où il a grandi, il avait fondé un groupe punk et qu’un label leur avait offert un contrat, mais que son père s’y était opposé parce que ça lui semblait foireux. Ça a donné à Philippa l’idée d’ancrer le film dans la scène punk. Ça m’a parlé parce que, ma mère étant anglaise, je me suis toujours senti connecté à cet état esprit. Mais ce n’est qu’après avoir fait mon coming out que j’ai vraiment découvert ce monde, à travers le queercore.

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Le contexte punk, l’énergie et la liberté du film rappellent Jubilee de Derek Jarman (1978). C’était une de vos influences ?
En fait, pas tant que ça. C’est drôle parce que le premier film sur lequel a travaillé ma costumière, Sandy Powell, était Caravaggio de Jarman (1987). Sur le plateau de mon film, elle m’a avoué s’être amusée comme ça ne lui était plus arrivé depuis ce tournage. Mais le film de Jarman est plus foutraque, moins linéaire que le nôtre. On s’est plutôt inspirés de Sammy et Rosie s’envoient en l’air de Stephen Frears (1988) et du livre Le Bouddha de banlieue, tous deux écrits par Hanif Kureishi, un Britannique assez queer et punk d’origine indienne. Le film est un mélange d’influences, mais on voulait surtout faire un conte de fées.

En parlant de fées, vous faites partie des Radical Faeries, un mouvement queer international qui milite en faisant notamment des incantations au cours de cérémonies païennes dans la nature. Cela vous a servi pour décrire la communauté extraterrestre,
et notamment leur fête folle au début du film ?
C’est surtout mon film Shortbus qui s’inspirait des Radical Faeries ; d’ailleurs, beaucoup de membres du mouvement jouaient dedans. En revanche, dans How to Talk…, les aliens sont très rigides. Ils se libèrent des diktats de leur communauté lors de cette soirée, à la manière des employés japonais qui se saoulent avec leurs patrons – tout peut arriver, mais il ne faudra surtout jamais en reparler. Le reste du temps, les aliens ont un état d’esprit assez alt-right : ils punissent ceux qui s’écartent de la norme, comme la fille qui a un doigt en plus.

Les jeunes héros, le punk Enn (Alex Sharp) et l’alien Zan (Elle Fanning), s’explorent physiquement de façon maladroite et très drôle. Trouvez-vous la représentation de la découverte de la sexualité trop normative au cinéma ?
Les ados d’aujourd’hui ont deux boulevards pour s’éduquer en matière de sexe. Le premier, c’est Internet, où l’on peut tout voir et où le porno est fractionné en d’innombrables catégories très réductrices. Le deuxième, c’est Hollywood, qui est effrayé par la chose et préfère blaguer sur le sujet ou faire une ellipse sur les scènes de sexe – ce qui est aussi une façon de dire que c’est mal.
Il n’y a pas grand-chose entre ces deux représentations. Dans ma génération, car ça peut être une manière d’en apprendre plus sur soi. D’ailleurs, l’une de mes scènes préférées, c’est quand on comprend que Vic, le punk macho, accepte de se faire fister : il évolue.

Vous êtes un des rares cinéastes américains à vous aventurer dans un cinéma transgressif héritier de John Waters. C’est difficile à faire, aujourd’hui, aux États-Unis ?
Je trouve, oui. Mais heureusement, maintenant, il y a un peu plus de place pour ça à la télé et sur Internet. Je prépare une série de podcasts, Homunculus, sur un type qui a une tumeur au cerveau et dont l’assurance a fait faillite. Il essaye de lever des fonds en appelant des inconnus au téléphone, il leur raconte son histoire et leur chante des chansons qu’il a écrites. J’ai aussi découvert une websérie géniale, Brujos, qui suit une bande d’étudiants queer, dont certains sont latinos, adeptes de sorcellerie et pourchassés par des mecs blancs hétéros. C’est très drôle, dans l’esprit corrosif de John Waters. Mais, personnellement, je me sens plus dans l’esprit de Jean Genet et son Chant d’amour, différemment transgressif. Ça parle de deux hommes amoureux en prison ; l’un souffle sa fumée de cigarette par un trou dans le mur, et l’autre l’aspire de l’autre côté. Genet, Jarman, Oscar Wilde… C’est le genre de queer plus doux que j’aime.

: « How to Talk to Girls at Parties »
de John Cameron Mitchell
ARP Sélection (1 h 42)
Sortie le 20 juin

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