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CANNES 2022 · On y était : la master-class passionnante de Kelly Reichardt, récompensée par le Carrosse d’or

  • Timé Zoppé
  • 2022-05-19

Cette année, c’est la cinéaste indé américaine Kelly Reichardt - qu’on adule à la rédac – qui reçoit le Carrosse d’or décerné par la SRF (la Société des réalisateurs de films), couronnement d’une œuvre à la sensibilité et à la maturité admirables. Ce mercredi 18 mai, la réalisatrice livrait, au Théâtre Croisette, une masterclasse à son image : humble, subtile et drôle.

On ne peut pas dire qu’elle soit physiquement impressionnante, avec son mètre soixante à peine et son air d’avoir débarqué là par hasard. Pourtant, Kelly Reichardt en impose : la classe tranquille, la cinéaste de 58 ans grimpe la volée de marche de la scène du Théâtre croisette et s’installe en son centre avec l’assurance des plus grandes. C’est qu’elle n’a déjà plus rien à prouver, forte du succès en salle de son dernier film, First Cow, sorti l’an dernier, et de sa première sélection en Compétition officielle cette année avec Showing Up, qui passe en fin d’édition et qu’on attend comme le messie.

Showing Up (c) Allyson Riggs/A24

Elle y retrouve son actrice-fétiche, Michelle Williams (qui a joué pour elle dans Wendy et Lucy, La Dernière Piste et Certaines Femmes), pour un drame qui s’annonce comme l’antithèse de sa marque de fabrique : une comédie dramatique sur une artiste qui doit composer avec le chaos de sa vie avant le vernissage de sa nouvelle exposition. Exit (apparemment) les grands espaces et la nature sauvage que Kelly Reichardt a si bien su filmer, et qui était au cœur de sa masterclasse suivant la projection de son brillant western La Dernière Piste (2011). Un récit âpre sur la conquête de l’Ouest américain, dans lequel trois familles traversent les étendues de l’Oregon et demandent l’aide d’un trappeur louche pour les guider.

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La Dernière piste (c) DR

D’emblée, la réalisatrice détaille les échos entre passé et présent qui l’ont motivée à adapter ce roman de son ami Jonathan Raymond :« L’histoire se déroule en 1845. Quand on a fait le film, c’était les années Bush et de la guerre en Irak. Stephen Meek a vraiment existé, il a mené deux cents chariots dans le désert, ils se sont perdus. La question est de savoir s’il savait ce qu’il faisait, était-ce un baratineur qui les menait en bateau ? J’étais très intéressée par ce parallèle entre l’actualité et ce récit historique. »Au cours de leur périple, la troupe fait la rencontre d’un Indien ambigu, qui n’a pas de langue commune avec eux.« Une des idées du film, c’était de donner la parole à ceux qui n’ont d’habitude pas voix au chapitre dans l’histoire américaine : les femmes et les Indiens. »

Interrogée sur le fait que ses films seraient aux antipodes de la fameuse réplique d’un journaliste à la fin du western L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, qui dit que « quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende », Kelly Reichardt explique :« Dans le film, la légende sert plus à des gens comme lui qu’à des gens comme moi. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, il y a une bataille idéologique. Il y a un phénomène qui s’appelle la théorie raciale radicale, à propos de l’histoire américaine. Ces gens militent pour que l’esclavage ne soit pas enseigné, notamment dans les livres d’histoire à l’école parce que ça culpabiliserait trop les Blancs. On voit bien à travers ce genre de choses à quel point l’Amérique est très attachée à ses mythes… et c’est dangereux. »

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Suit la projection d’un extrait de Certaines femmes (2017), dans lequel le personnage de rancher joué par Lily Gladstone (dont Kelly Reichardt rappelle qu’elle vient de tourner pour Scorsese avec Leonardo DiCaprio et craint donc qu’elle ne la rappelle plus jamais après ça) vient de faire des heures voiture pour revoir – et courtiser – le personnage de juriste campée par Kristen Stewart avant de se prendre une veste et de s’endormir au volant au retour. La réalisatrice revient sur son appétence pour les scènes de voyage, particulièrement en voiture : « Avant de tourner ce film, je m’étais promis d’arrêter avec les scènes en voiture… En plus, c’est super difficile à tourner. Sauf que j’aime trop l’idée d’aller d’un point à un autre. Je suis quelqu’un qui adore quitter une soirée car j’ai hâte de rentrer en marchant pour parler de la soirée… Par contre, les voitures modernes sont un gros dilemme pour moi, elles ne sont pas du tout cinégéniques. »

Certaines femmes (c) LFR Films

Loin de nous l’idée de lui coller aux basques tels des fans obsessionnels, mais on n’a pas résisté à l’envie de passer une tête à la cérémonie de remise du Carrosse d’or, qui s’est déroulée le soir même. Et on a bien fait : en recevant la suprême récompense, la cinéaste, visiblement émue, a glissé une anecdote amusante : lorsqu’elle était plus jeune, sa mère lui a offert un livre, avec en couverture la photo d’une réalisatrice tenant une caméra. Visionnaire, sa maman lui a suggéré que ce pourrait être elle, plus tard. « Puis j’ai réalisé que c’était Leni Riefenstahl » (la tristement célèbre réalisatrice de films de propagande nazie) a conclu Kelly Reichardt, devant un public hilare. Vous l’ignoriez peut-être avant de lire ce texte, mais on vous l’assure : en plus d’être une brillante cinéaste, elle est une incroyable chauffeuse de salle.

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 17 au 28 mai 2022. Tous nos articles sur l’événement sont à suivre ici.

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