Jeremy Allen White : « Il fallait que je m’épuise, et si la caméra parvenait à capter ça, alors c’était gagné. »

Dans « Springsteen : Deliver Me From Nowhere » de Scott Cooper (« Les Brasiers de la Colère », 2013), l’acteur star de la série « The Bear » campe avec justesse un Bruce Springsteen tourmenté, alors qu’il se confronte à son passé douloureux et plonge dans les affres de la création de l’introspectif Nebraska, sorti en 1982. On l’a rencontré à Lyon, en marge du Festival Lumière où le film était présenté en avant-première, pour tenter de percer les secrets de cette partition mélancolique.


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© 20th Century Studios.

La scène d’ouverture du film nous plonge d’emblée dans l’ambiance électrique des petites scènes sur lesquelles Bruce Springsteen se produisait au début de sa carrière. Comment avez-vous réussi à vous emparer de cette énergie propre à la scène, à la performance live ?

Pour la plupart de ces séquences, Bruce Springsteen était présent sur le plateau et se chargeait de chauffer la salle. J’étais la plupart du temps présent sur scène avec de vrais musiciens – notamment dans la séquence de Born to Run –, et les figurants étaient tellement heureux d’être là, tellement expressifs, qu’il a été très facile de s’immerger dans cet environnement qui me semblait si réel, si vibrant. Quand il performe, Bruce se donne entièrement, il n’arrêtera pas de jouer jusqu’à ce qu’il soit physiquement incapable de le faire. Je savais qu’il fallait que je me donne tout autant, que je m’épuise, et que si la caméra parvenait à capter ça, alors c’était gagné.

À travers votre interprétation, on sent qu’il n’était pas question pour vous d’imiter Springsteen, mais plutôt d’évoquer quelque chose de son charisme et de sa manière d’être…

C’est une question à laquelle je me suis beaucoup confronté, je pense que tout est une question d’équilibre. Il fallait que je parvienne à incarner Bruce sans le trahir, et à la fois, que je m’approprie le personnage en lui créant une vie intérieure qui soit la plus juste possible. Scott [Cooper, le réalisateur du film, ndlr] a été très clair sur le fait qu’il ne voulait absolument pas que mon interprétation tombe dans l’imitation. Et je crois qu’au début, j’étais tellement empêtré dans l’image que le public a de lui : son côté performer, sa voix reconnaissable entre mille, sa physicalité, sa silhouette… que c’en était paralysant. Il me semble que j’ai commencé à gagner en confiance et à m’approprier le personnage quand je me suis détaché de l’icône qu’il est aujourd’hui, pour aller vers le jeune homme qu’il était à l’époque.

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© 20th Century Studios.

Le film montre que le cinéma a tenu une place importante dans le processus créatif de Bruce Springsteen. Le fait de revoir les films qui l’ont inspiré, notamment La Balade Sauvage (1975) de Terrence Malick et La Nuit du Chasseur (1956) de Charles Laughton, vous a-t-il vous-même aidé à mieux à comprendre son intériorité ?

Complètement. Je crois que c’est ce qui m’a le plus plu à la lecture du scénario, l’idée d’être invité à l’intérieur du processus créatif d’un artiste de son envergure. Je me souviens avoir vu La Balade Sauvage quand j’avais 14 ou 15 ans, c’est un film qui m’a beaucoup marqué, il m’a en quelque sorte inspiré, moi aussi. Je me souviens de l’excitation que j’ai ressenti en découvrant la performance de Martin Sheen et Sissy Spacek dans le film. Revoir ces films, c’était aussi l’occasion de me plonger dans la peau de Bruce Springsteen, d’imaginer ce qu’il en avait compris et la manière dont ils avaient pu influencer la création de l’album Nebraska. Il fallait que j’apprenne à comprendre le processus créatif d’un auteur-compositeur pour parvenir à chanter les mots de Bruce Springsteen de la manière la plus honnête possible, d’autant plus lorsqu’il s’agit de paroles aussi belles et aussi profondes que le sont celles des chansons qui figurent sur cet album.

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© 20th Century Studios.

Quels sont les trois films qui ont construit l’acteur que vous êtes aujourd’hui ?

À 16 ou 17 ans, j’ai tourné dans un film qui s’appelle Afterschool [sorti en 2008 et présenté à Cannes dans la sélection Un Certain Regard la même année, le film d’Antonio Campos narre le parcours d’un ado, interprété par Ezra Miller, obsédé par les images violentes, qui va filmer malgré lui la mort de deux étudiantes, ndlr]. Le réalisateur, que j’aimais beaucoup, m’a notamment fait découvrir le cinéma de Stanley Kubrick. J’ai vu pour la première fois Orange Mécanique à ce moment-là. C’est un film qui m’a profondément dérangé, ça me semblait complètement fou de voir ça à l’époque. C’est aussi sur ce tournage que j’ai découvert le cinéma de Michael Haneke, notamment le premier Funny Games (1997), La Pianiste (2001)Pour citer un autre film moins effrayant – même si c’est un film qui peut paraître assez sombre pour un enfant –, je dirais que la découverte du cinéma de Spielberg, et plus particulièrement de E.T. l’extra-terrestre (1982), m’a beaucoup marqué. Découvrir enfant le travail de ces jeunes acteurs, ça a été très inspirant pour moi.

: Springsteen : Deliver Me From Nowhere de Scott Cooper (The Walt Disney Compagny France, 2h), sortie le 22 octobre