« All About Eve » de J. L. Mankiewicz : un bijou de cruauté à revoir en salles 

Cynique et virtuose, le film oscarisé de Mankiewicz sorti en 1950, partition sur la vanité de la célébrité, n’a pas pris une ride. Il est à revoir en salles cette semaine.


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"All about Eve" de J. L Mankiewicz (c) Les Acacias

Peu de films sont brillants d’emblée sans se dédire par la suite, et concentrent dans leur ouverture toute la sève, le sel de leur génie. À ce titre, All About Eve (le titre original, traduit lapidairement par Eve en français, a son importance) est un petit bijou de malice, de cruauté et d’intelligence. Dans cet incipit mordant, J. L Mankiewicz se pose comme chef d’orchestre, et observateur satirique, d’un petit monde cupide : le théâtre. Au cœur de la salle de réception de la Sarah Siddons Society, qui récompense la crème des comédiens lors d’une cérémonie mondaine, Mankiewicz lance les dés de son jeu favori. Examiner l’ascension, l’opportunisme, les bassesses de la célébrité et son envers pourri. C’est l’obsession de sa filmographie, et déjà le sujet de La Comtesse aux pieds nus, sorti quatre ans plus tard.

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Qui est réellement Eve Harrington (Anne Baxter), jeune actrice à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession, manipulatrice hors pair ? Elle va se faire remettre une récompense suprême, et dans l’ombre, sa rivale et superstar Margo Channing (Bette Davis) siffle du champagne pour oublier qu’elle s’est fait voler sa place… Il faut renoncer, semble nous dire Mankiewicz, à saisir l’identité de cette girl next door portée aux nues, accepter son opacité. C’est qu’elle ne sera racontée, selon un dispositif de points de vue enchâssés, qu’à travers les yeux jaloux ou désireux des autres personnages. Eve n’est pas une personne en chair et un os, mais une créature de fiction, modelée sous nos yeux, au gré de flash-backs que Mankiewicz, qui en fait sa personal touch, maîtrise comme un art implacable. C’est cela, une star : un être sur lequel chacun pose, puis déchire, un voile d’illusion. Dans sa structure parfaitement fluide, infiniment complexe et polyphonique, All About Eve ne raconte rien d’autre que le mirage de l’adoration, l’hypocrisie et le culte de la vedette.

Mais l’ironie du film, tout en sophistication et en dialogues cinglants, ne suffit pas à en faire le tour, à épuiser sa force. Des années après sa sortie, le pouvoir de fascination qu’il exerce sur nous se loge ailleurs, dans des plis plus subtils. Il est sans doute à chercher du côté du dédoublement, du miroitement, image que Mankiewicz explore comme un abyme pour nous faire comprendre qu’Eve et Margo, rivales en âge, en beauté, sont les mêmes victimes d’un Hollywood qui conçoit la féminité comme un antagonisme.

All about Eve de Joseph L. Mankiewicz, 2h18, ressortie le 10 septembre, Les Acacias