CANNES 2025  · « Deux procureurs » de Sergeï Loznitsa : un récit à la fois kafkaïen et tatiesque

Présenté en compétition, Deux procureurs de Sergeï Loznitsa suit un jeune juriste qui, dans les années 1930 en URSS, découvre les injustices du système stalinien et cherche à avertir sa hiérarchie. Un film ultra rigoureux qui croise Kafka, Dostoïevski et… Jacques Tati.


Deux procureurs
© Pyramide Distribution

En s’ouvrant sur une porte de prison et un cadre sans horizon, le ton est donné : Deux procureurs est un film carcéral, voire sentencieux, dont l’objectif premier est de montrer à quel point, une fois la dictature installée, il est impossible de la changer de l’intérieur. Première fiction de Sergeï Loznitsa depuis Donbass en 2018, le film raconte la découverte laborieuse des exactions du NKVD, l’ancêtre du KGB, durant les années 1930 en URSS et l’époque des purges staliniennes, par un jeune procureur un brin naïf, Alexander Kornev, joué par Alexander Kouznetsov, star montante du cinéma russe aujourd’hui exilée.

Dans un format 4:3, les portes des cellules épousent la forme du cadre, qui scelle le destin de son personnage principal, à qui l’on annonce plusieurs fois que son enquête risque de buter sur l’inflexibilité du système. Et pour cause : même lorsque, dans la deuxième moitié du film, Kornev tente de résister et de faire remonter les informations auprès de sa hiérarchie, celui-ci éprouve l’absurdité kafkanienne de la bureaucratie stalinienne, qui répond, comme un écho désespérant, à l’univers carcéral de la première moitié. Après avoir réalisé plusieurs documentaires d’archives au montage mathématique, Loznitsa façonne un film ultra rigoureux, tirant de sa rigidité une figuration de l’impossibilité à sortir de cette geôle à ciel ouvert qu’est l’URSS stalinienne.

 Deux procureurs peut ainsi sembler assommant (un effet délibéré, sans naïveté vis-à-vis de la cruauté de l’Histoire), mais il parvient à garder une certaine souplesse, en miroitant parfois du côté du cinéma burlesque de Jacques Tati. Dans les couloirs du parquet général, traversé par des figurants en forme d’automates et nimbé d’une absurdité proche des écrits de Dostoïevski (chez qui les situations les plus sombres sont aussi les plus drôles), Kornev ressemble à Mr. Hulot, cherchant à comprendre les rouages d’une grande machine absurde – celle de la dictature – dont il ressortira broyé.

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