QUEER GUEST est une série d’articles issue de , le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.
« J’étais assez cinéphile, adolescent. A partir de 12-13 ans, je me souviens avoir été marqué par plusieurs films que je n’avais pas nécessairement vus, mais dont les images étaient reproduites à l’époque dans les magazines de ciné que je lisais abondamment comme Studio, Positif ou Cine Live. C’était tantôt des récits liés à l’épidémie de sida, en particulier Les Nuits Fauves de Cyril Collard [1992, ndlr], que je n’avais pas osé regarder parce que j’étais très hanté par la peur de la maladie, tantôt mettant en scène la difficulté des parcours gays. C’était une réalité qui m’était déjà familière et que je ne me sentais pas capable de regarder sur grand ou petit écran. Je suis donc volontairement passé à côté de My Own Private Idaho de Gus Van Sant [1992, ndlr], par exemple..
Après, il y a eu d’autres films qui incarnaient une charge érotique, en dépit du fait qu’il s’agissait rarement d’histoires d’amours heureuses. Je pense aux films de Sébastien Lifshitz. J’étais complètement obsédé par l’affiche de Presque rien [2000, ndlr] avec Jérémie Elkaïm et Stéphane Rideau torses nus. J’étais passé un peu à côté des films de Téchiné, mais je me souviens de celui-ci de Lifshitz, c’était un DVD – enfin, non, une VHS, à l’époque – de la médiathèque de ma ville en Normandie que je n’osais jamais emprunter. Je l’ai finalement vu à l’adolescence, vers 14-15 ans, discrètement sur l’ordinateur familial. En clips, tranche par tranche, en effaçant l’historique derrière moi. Il faut dire quand même que j’étais globalement principalement intéressé par les scènes plus ouvertement sexuelles, et parce que c’était une histoire d’amour furtif de vacances en bord de mer.
Sébastien Lifshitz, mauvais genre
Vers 15-16 ans, il y a eu Le Secret de Brokeback Mountain [d’Ang Lee, 2006, ndlr]. Pour moi, c’était le premier film « d’époque » un peu grand public, hollywoodien se déroulant dans un autre cadre que celui de la grande ville. J’aimais beaucoup les films d’Ang Lee par ailleurs, j’avais donc très envie de le voir. Mais, après le seul et unique visionnage que j’ai fait, j’étais par terre. Et je me souviens avoir mis plusieurs jours à m’en remettre. Même si ce sont des réalités évidemment trop souvent minorées ou invisibilisées, j’avais besoin de me projeter dans des récits désirables qui n’auraient pas uniquement comme motif narratif structurant la violence s’abattant sur les corps gays ou queers, la maladie, l’amour perdu ou raté et la difficile expérience du placard.
C’est finalement les séries qui m’ont ouvert d’autres voies. Notamment lesbiennes. A la même époque, grâce à une amie, j’ai découvert The L Word [créée par Ilene Chaiken, 2004-2009, ndlr]. Le cadre mettait en scène une homosexualité qui n’était pas la mienne, mais dont les péripéties amoureuses, émotionnelles, me passionnaient. Si j’ai pu regarder des extraits de la série gay Queer as Folk [créée par Ron Cowen et Daniel Lipman, 2000-2005, ndlr] plutôt pour leur dimensions sexuelle, émotionnellement, je préférais clairement la première édition de The L Word, qui répondait bien plus à ce que j’espérais voir un jour exister en terme d’affection et d’érotisme.
Une dizaine d’années plus tard, quand je vivais à Paris, il y a eu évidemment la série Looking [créée par Michael Lannan et produite notamment par Andrew Haigh, 2014-2016, ndlr] qui a été importante. Au-delà de ses défauts, j’étais séduit par la représentation des errances amoureuses et sexuelles du personnage principal et celles de son groupe d’amis. Et puis, évidemment par la représentation somme toute assez classique, désormais un peu éculée, de San Francisco comme refuge et ville queer. Si j’étais passé à côté des Chroniques de San Francisco, [feuilleton télévisé d’Alastair Reid, créé en 1993, ndlr] adapté des romans d’Armistead Maupin, Looking a très certainement nourri mon fantasme de la ville.
Je me dis aujourd’hui que cela a évidemment joué un rôle dans mon intérêt d’aller y débuter des recherches sur les archives gay quelques années plus tard. Et que cela m’a aussi en retour permis d’accueillir une réalité et un passé communautaire et militant, notamment lié à l’épidémie, auquel je m’étais refusé à donner une place pendant mon adolescence. »
: Conférence « Héritages queer » avec Antoine Idier et Cy Lecerf Maulpoix, mardi 20 février à 20h à la Maison des Métallos