I.A. QUOI ?  · Le dégoût du risque 

L’I.A. nous emmène-t-elle vers une ère de programmes et de films standardisés, conçus simplement pour plaire au public ? Julien Dupuy nous éclaire sur le sujet.


Sylvester Stallone Le dégoût du risque
Sylvester Stallone dans "Rambo : Last Blood" © Metropolitan FilmExport

Sylvester Stallone, l’un des quatre « special ambassador » envoyés à Hollywood par Donald Trump, vient de donner un signal fort en faveur de l’implantation de l’I.A. dans l’industrie du cinéma américain en contribuant à la levée de fonds (7 millions de francs suisse) de Largo.ai. 

Cette société basée à Lausanne est, selon ses dirigeants, déjà bien implantée dans l’audiovisuel américain. Mais Largo.ai ambitionne de passer un cap supplémentaire avec un outil qu’ils espèrent vendre à toutes les majors américaines : le « Simulated Focus Group ». Version I.A. des études démographiques et des projections tests sur lesquelles est indexée quantité de blockbusters, cet outil analyse le contenu des films et séries avant même qu’ils ne soient lancés en production, pour savoir quel serait leur impact auprès du public. 

Et cette espèce de prédiction de goût des spectateurs devrait permettre, selon les dirigeants de Largo.ai, de créer « du contenu de meilleure qualité, plus rapidement, plus facilement et moins risqué ».


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L’arrivée d’un tel outil semble, évidemment, en totale contradiction avec toute ambition artistique. Il n’est pourtant que l’extension technologique d’une tendance forte dans l’industrie hollywoodienne depuis le début des années 1980. 

À cette époque, le président de Paramount, Michael Eisner, s’était fendu d’un mémo définissant la « philosophie de l’entreprise ». On pouvait y lire : « Nous n’avons aucune obligation de marquer l’histoire, nous n’avons aucune obligation de faire de l’art, nous n’avons aucune obligation de tenir un discours. Notre seul impératif est de faire de l’argent. » 

Top Gun
« Top Gun » de Tony Scott © Paramount Pictures

Sur son impulsion, plusieurs producteurs, parmi lesquels Jeffrey Katzenberg, Don Simpson et Jerry Bruckheimer, ont basé leurs grands succès (Top GunLe Flic de Berverly HillsFlashdance, etc.) sur des analyses de marché, des sondages, des projections test, signant définitivement la fin du Nouvel Hollywood au profit de produits formatés selon les tendances du moment.

Si cette recette a un temps fonctionné et a depuis fait des émules, sa réussite reste fatalement, et fort heureusement, éphémère : l’Histoire récente du cinéma nous a montré que le public finit toujours par se lasser de ces produits prémâchés et finit pas favoriser un outsider qui créera la surprise et redéfinira les lois du marché. 

Sylvester Stallone dans « Rambo III »
Sylvester Stallone dans « Rambo III »© STUDIOCANAL

Reste à savoir comment la puissance de l’I.A. va être en capacité de soutenir de tels objectifs. En attendant, on soulignera l’ironie de voir une star comme Sylvester Stallone encourager pareille démarche, lui qui doit sa carrière à deux parangons de l’outsider. Rocky Balboa ou Rambo ont, chacun leur tour, marqué une rupture profonde avec les modes de l’époque et durent combattre les préjugés des argentiers. Et il est très peu probable que la ténacité de l’« Étalon italien » ou la rage du vétéran du Vietnam auraient réussi à passer le test du « Simulated Focus Group ».

En + Pour en savoir plus sur les méfaits de Michael Eisner et de sa bande, nous ne saurions trop vous conseiller le visionnage de cette vidéo (en deux parties) de M. Bobine.

En + Et puisqu’il est question ici d’outsiders du cinéma, la société Cineverse, qui a créé la surprise au box-office avec la série de films d’horreur Terrifier, vient de se lancer sur le marché des I.A. avec Matchpoint Reel Visuals AI, visant notamment à rémunérer des artistes qui accepteraient de nourrir des I.A. génératives avec leurs créations.

I.A. PLAYLIST

Le réalisateur français Gaspar Noé présidera le prochain festival de courts métrages I.A. organisé par Runway

Un designer travaillant, notamment, pour le studio Marvel partage son immense inquiétude sur les changements induits par l’arrivée des I.A. Son témoignage est glaçant.

L’humoriste Taylor Tomlinson parle avec beaucoup d’humour de l’arrivée du générateur de texte chinois DeepSeek, qui met à mal ChatGPT.

La séquence d’ouverture culte des Aventuriers de l’Arche Perdue se déroule en public dans cette séquence manipulée et étendue par I.A.

Après les peintures, ce sont les bas-reliefs qui s’animent par le biais d’outils I.A. dans cette étonnante vidéo de Mostafa Heravi basée sur les bas-reliefs de la procession royale de Persépolis.


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