DIVINE GANG · Yannis Mohand Briki : « Je veux raconter ce que ma famille a laissé là-bas, ce qu’elle est venue chercher ici, et ce qu’elle cherche encore »

Dans les labyrinthes intimes de ses films (« La Nuit de l’ogresse », « Bonne nuit Xali »), installation (« Red Skies », « Violet Dreams »), performance (« LOVEBOMB ») et bientôt jeu vidéo, l’émancipation surgit toujours de l’ombre.


Yannis Mohand Briki
© Claire Legrand

On demande à Yannis Mohand Briki quelle image serait fondatrice de son travail. Il répond : « Une télé cathodique qui ne donne sur rien. » Cet écran vide, saturé de signal fantôme, dit tout l’horizon bouché, la communication qui ne passe plus dans son œuvre puissante, hantée et mélancolique.

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Né en 1998, l’artiste nous apporte sa première PSP, relique avec laquelle il jouait aux Sims 2 en 2004. Cet épisode-là l’a marqué par ses allures de rêve fiévreux : « Il tenait moins de la simulation de vie que de la quête ésotérique, limite “théorie du complot” avec son désert, ses robots morts… » C’est dans ce jeu qu’il réalise une trilogie de machinimas [films utilisant des séquences capturées dans des espaces virtuels, comme des jeux vidéo, ndlr] intitulée Coming of (Rage) (dont deux volets sont achevés : Yesterday Was My Birthday So I Asked for Legs to Run Away (2024) et The Insufferable Weight of Being a Fourteen-Year-Old Murderer (2025)).

4.BEING 14
The Insufferable Weight of Being a Fourteen-Year-Old Murderer (2025) © Yannis Mohand Briki

Il investit ses souvenirs dans l’esthétique Frutiger Aero – ce style Internet années 2000, entre nature et high-tech : un futur idéal aussi lisse qu’étouffant, une utopie capitaliste, un dédale anxiogène. Dans le stupéfiant The Insufferable Weight…, il imagine l’errance hallucinée d’un ado dans un centre commercial inanimé, peuplé d’oiseaux morts et d’âmes perdues, sommé de tuer pour « devenir un homme ». À la question qui est posée au héros, « Que veux-tu devenir plus tard ? », Yannis Mohand Briki, tout en intégrant des images d’archives vidéo personnelles du rituel de passage qu’est la fête de sa propre circoncision enfant, prête la plus belle, libre et évanescente des réponses : « Je veux juste être un putain de pédé, c’est pas assez ? » ou « Je veux être le vent sur ma peau » ou « Je veux être l’odeur de la laque Elnett fixation extra forte de ma mère », « Je veux être le générique de Princesse Sarah ».

Dans des couleurs à la fois saturées et sous-exposées, Briki joue des apparitions et disparitions, des chimères. Actuellement, il développe un jeu vidéo à partir des récits des générations précédentes de sa famille algérienne immigrée en France, fondé sur l’idée de mirage. On y incarnera un personnage qui gagne à la loterie nationale, en Algérie, une carte pour aller travailler aux États-Unis – avec la promesse d’un resort orientaliste qu’on ne pourra jamais atteindre. « Je veux raconter ce que ma famille a laissé là-bas, ce qu’elle est venue chercher ici, et ce qu’elle cherche encore », dit le cinéaste. Alors que les oasis se dérobent, il crée des espaces liminaires, des lieux abandonnés, obscurs, où les personnes marginalisées peuvent trouver leur place.

2. BISKRA PALMS
© Yannis Mohand Briki

C’est la voiture de son oncle, refuge de son enfance, recréée en 3D et lancée sur une route infinie dans le tendre et sensoriel Bonne nuit Xali (2024). C’est sa performance LOVEBOMB (2025), dans laquelle, sur scène, il se réapproprie la violence raciste et fétichisante vécue dans l’intimité en clamant « Je me ferai sauter pour de vrai ». C’est enfin La Nuit de l’Ogresse (2021), film magnifique inspiré d’un conte kabyle – ici, la mère de tous les monstres protège des femmes violentées (la chanteuse Barbara, l’icône Lolo Ferrari) dans une nuit abstraite, suspendue, où elles créent leur propre lumière.

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