
Comment vous est venue l’idée de travailler sur Robocop de Paul Verhoeven (1987) ? Vous rappelez-vous de la première fois où vous l’avez vu ?
Benjamin Le Baron : Je ne me rappelle plus exactement quand je l’ai vu. Je l’ai vu quand j’étais ado. Je devais avoir 14-15 ans, quelque chose comme ça.
Tom Beaudoin : Moi, la première fois que je l’ai vu, c’est justement quand on s’est posé la question de repartir sur un nouveau projet. On avait déjà fait Fargo [film des frères Coen, sorti en 1996, ndlr] et l’expérience nous avait vraiment plu. On s’est alors dit qu’on allait dresser une liste de films qui serait cool à mettre en musique pour un ciné-concert.
On avait sélectionné le premier Jumanji (1995) et le premier Alien (1979) aussi. Benjamin, lui, avait mis Robocop dans cette liste. On était deux à l’avoir jamais réellement vu. Et c’est en le regardant qu’on s’est dit : « Il y a quelque chose. » Avant ça, j’avais un peu l’image d’un nanar. Mais en le visionnant, on s’est tous dit que c’était un super film et que, si on avait eu cet a priori suivi de cette géniale redécouverte, peut-être d’autres gens pourraient aussi casser leur propre a priori avec notre musique.
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Comment Robocop vous a-t-il influencé dans la narration plus précisément ?
T.B. : Dans le choix du film, il y avait effectivement toute la narration qui nous parlait [l’histoire d’un policier grièvement blessé, transformé en cyborg implacable par une énorme corporation et qui lutte pour retrouver son humanité, ndlr]. On s’est assez vite projeté vers l’esthétique musicale qu’on voulait explorer.
Robocop est un film des années 1980. On s’est dit que ce serait l’occasion de mettre pas mal de synthés et de s’inspirer musicalement des musiciens de ces années-là, qu’on adore : The Carpenters, Giorgio Moroder… Ces ambiances-là.
On a aussi eu l’idée de prendre des boîtes à rythmes des années 1980/1990, dans le style de la techno de Detroit. Comme le film Robocop se passe à Détroit, ça a créé une sorte de lien involontaire assez marrant.
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La première chose qu’on fait quand on commence à composer, c’est d’enlever la musique originale pour ne vraiment pas s’en inspirer et proposer autre chose. La première étape, c’est de faire ça et puis de commencer à jouer sur des scènes du film, s’enregistrer, revisionner ça, se dire : « Est ce que ça marche ? », « Est ce que ça fait un bon contrepoint aux dialogues ? ». Et puis on avance comme ça, petit à petit, pour construire un thème.
B.L.B. : Avant de les concevoir pour un disque, on a d’abord créé le ciné-concert avec des morceaux qui étaient destinés à être joués en public. Les morceaux du concert ont des formats particuliers, qui correspondent à des scènes et qui font seulement une minute ou une minute trente. Il a fallu qu’on les développe, qu’on les réarrange, rajouter des instruments, changer les sons, pour qu’on puisse les sortir sur le disque.
Ce qui est intéressant c’est que ça été une nouvelle étape pour nous. Le ciné-concert est quelque chose d’assez immédiat, on a eu très peu de temps pour le créer – on prend six mois à peu près pour faire 50 minutes de musique sur les 1 h 48 de film. Le studio, c’est le moment où on a vraiment pu se poser, retravailler et réintégrer tout ça dans le ciné-concert.

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Quelle leçon doit-on tirer de Robocop selon vous ? Qu’est-ce que le film a de contemporain ?
B.L.B. : À chaque fois qu’on le présente à des gens qui l’ont vu jeunes et le redécouvrent aujourd’hui, ils sont assez frappés par le fait que ça reste très actuel. Le film vieillit sur certains aspects, notamment visuel. Mais les thèmes restent très actuels. Il y a plein de parallèles à faire entre le film, les méchants du film et ce qui se passe actuellement. On n’a pas beaucoup évolué depuis.
T.B. : C’est vrai qu’il y’a cette course à l’armement. Il y a aussi la privatisation du maintien de l’ordre. Et puis il y a ce truc dans la ville de « Delta City » de vouloir virer la misère. Avec les dernières déclarations de Trump, on est en plein dans tout ça {Le président américain a fait de l’immigration une priorité de son nouveau mandat. Il a déclaré que le droit d’asile et le droit du sol étaient « ridicules » et à annoncer vouloir reprendre la construction du mûr de séparation à la frontière du Mexique, ndlr}.

On a aussi vu une info dans un journal il n’y a pas très longtemps. Pour apprendre le piano, on propose désormais des mains-robots qui ressemblent vraiment à la main de Robocop. C’est complètement le gant motorisé du film ! {Il s’agit d’un exosquelette robotisé, développé par des chercheurs de Sony Computer Science Laboratories à Tokyo, destiné à apprendre le piano et à améliorer la rapidité ainsi que la précision de jeu des pianistes sans risque de blessure}
Vous pensez que c’est possible d’apprendre le piano de cette manière-là ?
B.L.B. : Probablement. Après, est ce que c’est une bonne ou une mauvaise manière d’apprendre ? Je reste assez critique sur certains aspects de la technologie. Personnellement, ça ne me plairait pas du tout d’apprendre le piano comme ça.
T.B. : Aujourd’hui, ce qu’on défend, c’est quelque chose de poétique, l’idée que nos imperfections font partie de nous. L’I.A. reste tout de même un outil qui nous permet d’effectuer certaines tâches. Mais est-ce qu’on retire du plaisir à apprendre à jouer du piano avec une main motorisée dirigé par l’I.A. ? Ça nous augmente, oui, mais est-ce que ça nous rend plus heureux ? Ça, je ne sais pas.
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