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Hate de Laetitia Dosch : liberté, équité, équidé

  • Camille Brunel
  • 2018-06-14

Averti de la sensibilité de l’acteur principal par de larges affiches à l’entrée de la salle, le public prend place silencieusement dans les gradins. Sur scène, au milieu d’un carré de pouzzolane, se tient déjà Corazon, monolithique cheval blanc. Acteur, car sur scène tous les soirs aux côtés de sa partenaire Laetitia Dosch, qui le rejoindra bientôt après s’être déshabillée. Acteur, mais cheval quand même. C’est-à-dire parfaitement conscient d’être à l’endroit où, depuis quelques soirs, sa répétitrice Judith Zagury l’amène jouer et travailler, mais étranger aux raisons exactes de sa venue. Un premier charme opère : trop habitué aux codes du théâtre, comme à tous ceux de la société humaine, chaque spectateur est invité d’emblée à se mettre à la place de quelqu’un qui ne les comprend pas.

« Parler du monde de maintenant avec un cheval, au moins, ce ne sera pas triste », raconte l’actrice : et l’on est bel et bien partagé entre le rire et les larmes lorsqu’au terme d’un fulgurant monologue désespéré qui va de la jungle de Calais au tapis rouge de Cannes, on reporte son attention sur l’animal resté stoïque, légèrement étranger au spectacle en cours, comme les humains peuvent l’être vis-à-vis du monde tel qu’il est alors décrit.

(c) Philippe Quesne

(c) Philippe Quesne

Mais devant Hate au contraire, on ne divague pas souvent, à la fois rivés au moindre geste du cheval, entre imprévisibilité latente et docilité excessive (« Il connaît le spectacle 1500 fois mieux que moi, et il faut continuer de le surprendre! ») et à la concentration extrême de Laetitia Dosch. Cette dernière accomplit ici la prouesse de jouer chaque soir la même pièce deux fois, simultanément : d’un côté aux humains et de l’autre pour Corazon, sensible à d’autres codes, d’autres énergies, véritable mine à improvisation où s’ébroue le talent comique de l’actrice – comme lorsqu’elle se met à faire pipi sur scène en même temps que son partenaire. L’animal débranche le théâtre habituel : il faut imaginer Laetitia Dosch unplugged, court-circuitant par ces brusques retours à la réalité tout ce qu’il pouvait y avoir de faux ou de préconçu dans l’émotion du moment.

La pièce se termine sur une chanson bouleversante écrite par Barbara Carlotti pour Hate et une image du cheval à l’étable, éclairé comme les animaux condamnés du somptueux Gorge Coeur Ventre de Maud Alpi. On retrouve en effet la même volonté de se mettre au plus près du regard animal, tout en se sachant terriblement proche aussi de la violence du réel. Car on vend des steaks de cheval en plein Lausanne… Sur scène en revanche, s’esquisse une utopie : « Tout ce qu’on voit aurait pu être obtenu par la force, mais l’a été par la douceur », insiste Judith Zagury. C’est sur ce fil tranchant que s’inscrit Hate, entre désir de tendresse et violence fondatrice, dont la libération ne sera peut-être jamais qu’une mise en scène.

Hate, un spectacle de Laetitia Dosch et Yuval Rozman
à voir du 15 au 23 septembre 2018 au Centre dramatique Nanterre-Amandiers

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