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Un podcast pour l’après-midi : « Censuré ! La Religieuse de Jacques Rivette » dans Affaires sensibles

  • Sophie Véron
  • 2020-04-01

En 1966, Jacques Rivette s’apprête à sortir son deuxième long-métrage, dont le titre exact est Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot. S’il sait déjà qu’il risque l’interdiction aux moins de 18 ans, personne ne s’attendait à la décision du Ministre de l’Information, Yvon Bourges : celui-ci décrète la censure totale du film. Consternation dans les rangs de la Nouvelle Vague. Invitant pour l’occasion d’Hélène Frappat, romancière et critique spécialiste de Jacques Rivette l’émission de France Inter Affaires Sensibles est revenue sur cette drôle d’histoire du cinéma.

Avec le présentateur Fabrice Drouelle, Hélène Frappat revient sur la genèse de ce scandale dans cette émission diffusée en 2017. À l’origine, on trouve trois figures essentielles de la Nouvelle Vague : Jacques Rivette, Jean Gruault, dramaturge et scénariste, et Georges de Beauregard, producteur mythique de la bande des Cahiers. Ayant conscience du risque que court leur film, ils prennent soin de ne pas pas concevoir comme un brûlot anticlérical. Ce qui intéresse Jacques Rivette, ce sont des thèmes mis en avant par Foucault à la même époque et qu’il retrouve dans l’œuvre de Diderot, comme l’enfermement et la persécution. Après un avis de pré-censure défavorable, Rivette et Gruault remanient leur script.

Entre temps, Anna Karina a eu vent du projet par Jean-Luc Godard et elle s’enthousiasme pour le rôle de Suzanne Simonin. Rivette et Gruault propose donc un test : monter La Religieuse au théâtre, avec Anna Karina dans le rôle-titre. Ni scandale ni succès, la pièce démontre du moins le talent d’Anna Karina.

–>> À revoir : les mystères du regard doux-amer d’Anna Karina explorés par Blow Up

Mais les autorités religieuses voient d’un mauvaise œil ce projet. En effet, l’adaptation tombe on ne peut plus mal : c’est l’époque du concile de Vatican II, mal vécu par une part des membres du clergé. À cela s’ajoute le problème des vocations qui se raréfient et des églises qui se vident. Bref, l’Église a déjà fort à faire pour conserver ses ouailles et préfèrerait se passer d’une description du couvent, fut-ce celui du XVIIIe siècle, où les mères supérieures sont sadiques ou lesbiennes.

Dès le début du tournage, les pouvoirs religieux et conservateurs mettent des bâtons dans les roues du film de Jacques Rivette, qui est filmé bon an, mal an, en parallèle d’un véritable travail de sape de la part des autorités religieuses. Tant et si bien que lors du passage devant la commission de censure, où le film est effectivement autorisé sous réserve d’avoir plus de 18 ans, le Ministre de l’Information use de son pouvoir et décrète, seul, la censure totale.

En avril 1966, Jean-Luc Godard interpelle violemment André Malraux, et lui donne le surnom resté célèbre de « ministre de la Kultur » dans Le Nouvel Observateur. Malraux garde le silence, considérant qu’il s’occupe de culture et non pas de censure, ce qu’il laisse au Ministre de l’Information. En d’autres termes, « il joue les Ponce Pilate », note Hélène Frappat. L’affaire atteint un nouveau niveau d’absurdité quand le film est sélectionné à Cannes en mai 1966 pour représenter la France. Il repart bredouille, mais permet à l’hexagone de se passionner à nouveau pour l’œuvre de Denis Diderot.

À Paris, Yvon Bourges quitte le ministère de l’Information et le film passe une troisième fois devant le comité de censure. Le film est finalement autorisé aux spectateurs de plus de 18 ans et sort en 1967.

 

Image de couverture : © Kobal The Picture Desk / AFP

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