Sigourney Weaver : « Je veux incarner des personnages affirmés, des femmes fortes »

Dans « Avatar. De feu et de cendres », troisième volet de la saga de James Cameron, Sigourney Weaver campe à la fois une scientifique, Grace, et sa fille adolescente, Kiri, au grand corps bleu de Na’vi – cette espèce humanoïde habitant la planète Pandora. Lors de son passage à Paris, on a pu rencontrer l’actrice de 76 ans – qui a une véritable prestance de présidente – et l’interroger sur son incroyable capacité à se métamorphoser depuis ses débuts dans « Alien, le huitième passager » de Ridley Scott, en 1979.


Sigourney Weaver
© 2025 John Russo

Comment évoluent vos personnages dans ce troisième chapitre ?

Tous les personnages ont à peu près le même âge que dans le deuxième épisode et leur monde est toujours menacé par les humains. Au début de l’histoire, on a l’impression qu’ils pourraient vivre en paix sur Pandora [la planète où vivent les peuples na’vi et que les humains essaient de coloniser, ndlr]. Et puis, bien sûr, tout va de travers… Ce que j’aime dans les scénarios de Jim [surnom de James, ndlr] Cameron, c’est qu’ils sont toujours magnifiquement structurés, avec des thèmes très forts. Ici, c’est celui de la famille – un thème qu’il considère comme universel, qu’il s’agisse de famille biologique ou choisie. De nouvelles péripéties arrivent à cette famille, qui a déjà vécu la perte d’un frère. À partir de ce thème central, plusieurs questions se déclinent : comment allons-nous survivre ? Comment nous aider les uns les autres ? Comment nous retrouver ?

Les enjeux de ce troisième volet dépassent ceux du deuxième, avec beaucoup plus d’inconnu. On y découvre le peuple des Cendres, un clan na’vi qui refuse de s’unir avec les autres, placé sous l’autorité d’une déesse farouche. Elle veut déclarer la guerre à tous les autres Na’vi, car elle déteste Eywa [la Grande Mère de Pandora, ndlr]. Elle se sent abandonnée par cette entité qui guide le reste du peuple na’vi. Le sien ne se soucie pas des mêmes choses : la nature, les créatures, aucune forme de vie. Dans ce troisième épisode, on rencontre de nouveaux personnages, on voit des régions inédites de Pandora, on vit de nouvelles situations, par exemple celle du monde aérien des « Marchands du vent ». On retourne aussi dans le monde aquatique. Et je dirais, pour en avoir vu seulement un très court extrait…

Vous ne l’avez pas encore vu en entier ?

Non ! Je crois qu’il… [elle mime James Cameron tapant sur le clavier d’un ordinateur, comme pour finir les effets spéciaux du film, ndlr]. Ce que j’ai vu, dans la petite salle où il nous a montré quelques minutes du film… La 3D, elle a toujours été très sophistiquée, mais, là, on est littéralement dans l’espace. C’est tellement subtil et bien fait. La technologie y est encore plus raffinée, fluide que dans les précédents. On entre littéralement dans ce monde. Tout ce qui leur arrive nous arrive aussi.

Dans le premier Avatar, vous jouiez Grace, une scientifique, puis Kiri, sa fille de 14 ans, dans le deuxième. Qu’est-ce que ça a changé dans votre manière de jouer ?

Pour jouer le rôle d’une adolescente de 14 ans, qui ignore d’où elle vient [elle ne sait pas avec qui sa mère l’a conçue, ndlr], il faut repartir de zéro, comme pour chaque rôle que l’on doit construire cellule par cellule. Ce qui est amusant, c’est que je joue encore Grace dans les épisodes 2 [notamment dans des flash-back, ndlr] et 3. C’est aussi très plaisant de revenir à ce personnage. Pour celui de Kiri, j’ai commencé à me préparer un an en amont : j’ai bâti son identité en me rappelant mon état physique à cet âge très maladroit, à quel point j’étais gênée en permanence. À 11 ans, j’étais déjà aussi grande que je le suis maintenant [Sigourney Weaver mesure 1,82 m, ndlr]. À cet âge, on a parfois juste envie de se ratatiner et de disparaître. Toutes ces sensations que j’avais à 14 ans, j’ai pu les utiliser pour Kiri.

Avatar - de Feu et de Cendres
© 20th Century Studios

Je crois que c’est justement à cet âge que vous avez voulu changer votre prénom, Susan, pour Sigourney. Pourquoi ?

Je voulais abandonner la version enfant de moi-même – avec le recul, ça me semble être une décision assez incroyable. J’avais un surnom très court, Susie, et, comme j’étais très grande, je me disais qu’il me fallait un prénom plus long. J’ai trouvé « Sigourney » dans un roman de F. Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique. Je pensais garder ce prénom le temps de savoir ce que je voulais faire : peut-être devenir Susan, ou utiliser mon deuxième prénom, Alexandra. Je ne sais pas ce que je pensais – je l’ai juste fait. Et j’ai obligé tous mes professeurs à m’appeler Sigourney. Ils détestaient ça ! Je n’avais pas prévu d’en faire mon nom d’actrice, mais quand j’ai trouvé un agent, il m’a dit : « Personne ne veut représenter une Susan Weaver. Sigourney Weaver, c’est bien plus intéressant. » Mais vous savez, tout le monde m’appelle Siggy. Siggy… Susie… Ce n’est pas si différent. Il faut croire qu’on n’échappe pas à son destin.

Il paraît que Ridley Scott vous a choisie pour le rôle principal d’Alien, le huitième passager (1979) en partie pour votre grande taille et pour votre personnalité affirmée. Était-ce difficile à l’époque d’être castée à cause de ces caractéristiques en étant une femme ?

Oui. En fait, j’étais même allée à l’audition de ce film avec des talons très hauts, un peu « prostituée », car je me disais : « C’est de la science-fiction. Je vais m’amuser. » Sans savoir que Ridley Scott est très petit – il aurait pu dire non immédiatement. Je ne sais pas vraiment pourquoi il m’a choisie. Je sais que son équipe et lui voulaient quelqu’un d’inconnu. Les autres actrices intéressées par le rôle étaient très célèbres, et les scénaristes pensaient que ce n’était pas une bonne idée de le confier à une star : on suppose qu’une star va survivre. Ils se sont dit que personne ne penserait qu’une femme à l’écran allait survivre – c’était comme ça, à l’époque –, et encore moins si elle était incarnée par une inconnue. Ça a fonctionné pour eux… et pour moi.

À tel point que vous êtes devenue la « Reine de la sci-fi » pour vos rôles, entre autres, dans toute la saga Alien et dans les SOS Fantômes (dont les premiers, réalisés par Ivan Reitman, sont sortis en 1984 et 1989). Est-ce que c’était une stratégie de carrière consciente ?

Pas vraiment. C’est très bien d’être la « Reine de la science-fiction », mais je n’ai jamais choisi mes rôles en fonction d’un genre filmique. Toujours selon l’histoire. C’est ce qui m’a permis d’aller dans d’autres genres où peu d’acteurs s’aventurent. Je ne pensais jamais « Je suis dans ce territoire-là » ou « Ce genre-là vaut mieux qu’un autre. » Je n’étais pas snob. Je voulais tout faire. J’ai étudié la littérature [à la prestigieuse université de Stanford, ndlr], donc j’aime les histoires qui parlent de quelque chose de plus grand que ses personnages. J’ai juste suivi mon instinct. Alors, oui, « Reine de la sci-fi »… Pourquoi pas, mais j’ai fait beaucoup d’autres choses !

Malgré votre carrière prolifique, j’ai remarqué que vous avez peu tourné avec des réalisatrices. Pourquoi ?

C’est vrai… mais je suis disponible ! J’adorerais travailler avec plus de femmes. Seulement, pour une raison ou une autre, ce n’est pas arrivé autant que je le voudrais. J’ai encore du temps – enfin, je l’espère ! Je suis attirée par des films que j’aimerais voir à l’écran. C’est ce qui m’a conduite vers Ridley Scott ou Jim Cameron, car ils écrivent des histoires très fortes. Je dois tomber amoureuse du scénario que je lis. J’ai reçu des propositions de jeunes réalisatrices formidables, mais je veux incarner des personnages affirmés, des femmes fortes. Jusqu’ici, je n’ai pas encore trouvé le projet parfait avec l’une d’entre elles. J’espère vraiment que ça arrivera.

Avatar 3
© 20th Century Studios

Vous avez commencé votre carrière dans les années 1970, avant la révolution numérique. Aujourd’hui, vous vous prêtez à la « capture d’interprétation » pour Avatar, vous donnez votre voix pour des jeux vidéo… Quel regard portez-vous sur les évolutions technologiques et sur l’arrivée de l’IA ?

Je pense qu’il y a une idée reçue à propos d’Avatar : les films de la saga n’utilisent pas l’IA. Au contraire. Tout découle du travail des acteurs. Tout est réel. En un sens, la capture d’interprétation est un contre-pied à l’IA – et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime cette technologie. Les syndicats ont eu du mal à en parler, car nous découvrons à peine les questions qu’elle pose. J’ai des amis qui travaillent dans l’IA et qui pensent que ce sera formidable, que ça transformera le monde. Franchement, je ne m’y connais pas assez. Je suis certaine que ce sera utile d’une manière ou d’une autre. J’espère seulement que ça ne prendra pas le travail des acteurs. Ça, je ne peux pas y croire. Chez les artistes – écrivains, réalisateurs, acteurs – il existe une étincelle unique, vivante, qu’on ne peut pas reproduire avec une machine. Le public verra toujours la différence. On pourra produire des copies de films déjà vus – on l’a toujours fait – mais ce ne sont pas ces films-là que les gens aiment.

Vous êtes une vraie New-Yorkaise, vous êtes née et habitez toujours dans la ville. Quelle a été votre réaction lors de l’élection du nouveau maire, un jeune démocrate, et plus généralement sur la situation actuelle aux États-Unis ?

Je suis très heureuse que Zohran Mamdani ait gagné. C’est un joli cadeau pour les démocrates, car nous venons de passer neuf mois [depuis la réélection de Donald Trump, ndlr] terrifiants. Je pense que cette expérience va nous rendre beaucoup plus conscients de la fragilité de la démocratie. Nous ne pouvons pas tenir pour acquis ces contre-pouvoirs dont on nous dit qu’ils existent – leur solidité n’est pas garantie. Finalement, je crois que nous en sortirons avec un pays plus fort, avec une citoyenneté plus unie. Mais en ce moment, c’est très difficile. Et j’ai l’impression que la France traverse actuellement des défis similaires…

Avatar. De feu et de cendres de James Cameron, Walt Disney (3 h 17), sortie le 17 décembre