

Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault (1980)
« Les contes pour enfants sont des textes fondateurs, parce que c’est ce qui vous imprime dans le crâne à coups de marteau le paradigme qui va être celui de votre vie. Ce film, c’est une adaptation d’un conte d’Andersen qui s’appelle La Bergère et le Ramoneur (1845). En m’y replongeant, je me suis rendu compte de la richesse politique de ce scénario, de sa puissance sociale. Enfant, tout ça m’a irriguée, m’a construite, m’a révoltée même, y compris à la fin, quand le monde du roi est détruit. J’aime aussi l’idée qu’on abandonne le titre original du conte pour le transformer en Le Roi et l’Oiseau, parce que c’est vraiment le projet du film : raconter combien on a besoin de dissidence dans un monde de tyrannie. »

Paparazzi de Jacques Rozier (1963)
« Je découvre ce film au moment où je commence à plonger dans la matière du cinéma. Ici, on y plonge avec la voix de Michel Piccoli. Tout est tourné en longue focale, Rozier utilise lui-même le procédé du paparazzi pour raconter la rencontre entre Godard et Bardot sur le tournage du Mépris – rencontre qui a d’ailleurs été rejouée pour les besoins du film. Ce que j’adore dans ce making-of, c’est l’impression d’être transportée dans le pré-générique d’un Cluedo, avec cette voix, hyper inquiétante, presque menaçante, qui semble placer ce tournage sous les auspices de la célébrité trop grande, impossible à porter, de Brigitte Bardot. Je suis tout autant fascinée par Brigitte Bardot que par Michel Piccoli, par sa voix. C’est une voix qui m’a habitée toute ma vie ».

La Collectionneuse d’Éric Rohmer (1967)
« Pour moi, Haydée Politoff c’est la Zahia Dehar de 1967. Le génie de Rohmer, c’est de filmer toutes les parties de son corps, sans jamais rien lui voler. Il fétichise des endroits tellement inattendus ; ses clavicules, l’arrière de ses genoux, sa qualité de peau, son visage qui résiste, qu’on est selon moi à l’opposé du male gaze le plus basique. Au début de mon film Une fille facile, on voit Zahia Dehar, sculpturale, en plongée, dans une petite crique près de Cannes, dont je filme le corps morcelé, puis le titre du film qui apparaît sur son visage. Cette scène, c’est un hommage flagrant au film d’Éric Rohmer. Je pense que je suis reconnaissante envers ce film de résister au temps, parce que je me rends compte qu’aujourd’hui, il y a plein de films qu’on adore mais qu’on ne peut plus regarder. »

Birth de Jonathan Glazer (2004)
« Le scénario du film est signé Jean-Claude Carrière [mais aussi Milo Addica et Jonathan Glazer lui-même, ndlr], et je crois que c’est un scénario qui, à l’époque a beaucoup choqué les Américains. Le film n’a vraiment pas marché, alors que pour moi c’est l’un des plus beaux rôles de Nicole Kidman, elle est en totale maîtrise de son art. Je pense que si l’on aime les films, si l’on aime se plonger dedans, c’est parce qu’on a tous un peu envie de croire qu’il y a un arrière-monde, que les morts vont revenir. L’histoire de ce film c’est ça : celle d’un enfant qui a envie de sortir de sa condition d’enfant et de sa condition sociale, et d’une femme qui est incapable de faire le deuil de son mari, au point de croire en l’incroyable. Voyez ce film ! »