PORTFOLIO · Le Paris d’Agnès Varda au musée Carnavalet

Le musée Carnavalet consacre à la photographe, cinéaste et plasticienne disparue en 2019 une riche exposition intitulée « Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là », qui nous fait vagabonder dans la capitale d’un sentiment à un autre grâce à l’œil alerte, sensible et malicieux de l’artiste. Il y a l’urgence et l’angoisse de l’héroïne de Cléo de 5 à 7 (1962) errant dans Paris en attendant des résultats médicaux, la solitude des femmes-statues des Dites cariatides (1984) qui portent les murs de la ville sans que personne – sinon Varda – n’y prête attention, ou bien sûr l’ébullition créative de la rue Daguerre, dans le XIVe arrondissement, où l’artiste vivait et avait installé son atelier. On y arpente surtout sa première vie, la plus méconnue, celle de photographe, entre portraits d’artistes (Federico Fellini, Alexander Calder…), instantanés surréalistes saisis dans les rues, ou commandes de presse savamment détournées. Rosalie Varda, sa fille, a choisi pour nous quelques clichés qu’elle commente.


Agnès Varda
Agnès Varda, Autoportrait, 1950 © Succession Agnès Varda

« Je la regarde, si raide, légèrement maquillée pour se rendre plus vieille, elle a 22 ans et ne veut pas séduire pour ce premier autoportrait. Elle aime la peinture de la Renaissance et, déjà, elle impose une vision originale d’elle-même, qui n’est pas basée sur la séduction. Son regard est droit : elle nous regarde comme elle va regarder sa vie, et quelle vie ! »

2. Portraits avec Valentine Schlegel 1949
Agnès Varda, Portraits croisés avec Valentine Schlegel, 20, cité Malesherbes, Paris IXe, 12 mai 1949 © Succession Agnès Varda – Fonds Agnès Varda déposé à l’Institut pour la photographie

« Ces photographies d’Agnès et Linou (Valentine Schlegel) sont faites avec son Rolleiflex, vraisemblablement dans un appartement cité Malesherbes où elles étaient en colocation avec plusieurs jeunes femmes. Sa relation avec Linou est jolie [Varda a eu une grande histoire d’amour avec elle, ndlr]. Elles s’installent toutes les deux rue Daguerre en 1951, et Agnès va documenter son travail de céramiste et de sculptrice. Elles resteront amies toute leur vie. J’ai consacré à Valentine un petit livre, La Maison de Rosalie. »

3 Drole de gueule printemps 1952
Agnès Varda, Drôles de gueule, 1952 © Succession Agnès Varda

« Cette photographie fait partie d’une série, Drôles de gueule, inspirée par les surréalistes, dans laquelle Agnès transformait des objets du quotidien. Nous avons dressé un inventaire après le décès d’Agnès et on a répertorié plus de vingt-sept mille négatifs ! La photographie a fait partie de sa vie, même si, de son vivant, elle n’a pas été reconnue comme photographe. »

4 Mardi gras jardin du Luxembourg 1953
Agnès Varda, Mardi gras, jardin du Luxembourg, 1953 © Succession Agnès Varda – Courtesy galerie Nathalie Obadia, Paris, Bruxelles

« Le jardin du Luxembourg, le jardin de mon enfance avec son manège, les poneys et le guignol que je n’aimais pas ! Les masques nous interpellent, comme si ces enfants étaient des créatures venues d’ailleurs. »

6 Claude Berri et Jacqueline Danno
Claude Berri et Jacqueline Danno, La Jeunesse influencée par la mode littéraire, mai 1959 © Succession Agnès Varda

« Agnès et Claude Berri se sont connus jeunes, à la fin des années 1950. J’aime énormément ce portrait qui est une commande pour illustrer un thème dans la très belle revue Réalités : la jeunesse inspirée par la littérature. Claude, une personnalité complexe, acteur, metteur en scène, producteur et collectionneur d’art, a eu plusieurs vies. Alors qu’il produisait Tess [de Roman Polanski, 1979, ndlr], il venait souvent rue Daguerre évoquer le tournage et ses problèmes financiers… Je garde le souvenir d’un ami de ma famille, d’un producteur à l’ancienne, qui pouvait tout décider autour d’un repas. »

7 Rosalie avec portrait Delphine Seyrig 1961
Agnès Varda, Rosalie avec le portrait de Delphine Seyrig, dans la cour de la rue Daguerre, 1961 © Succession Agnès Varda • Portrait de Delphine Seyrig © Georges Pierre

« Je ne me rappelle pas ce moment précis dans la cour de la rue Daguerre ! Mais je me souviens de l’ambiance de l’atelier, du studio photo et surtout du laboratoire avec sa lumière rouge au-dessus de la porte pour signaler si on pouvait y entrer. L’odeur des révélateurs, la table où l’on repique les photographies, toute cette ambiance, c’est “ma madeleine de Proust”. Delphine Seyrig, Agnès l’a connue dans les années 1950 avant qu’elle tourne avec Alain Resnais. Une amitié joyeuse, des femmes engagées dans le combat pour obtenir non seulement la parité des salaires, mais en premier le droit à la contraception et à l’avortement. Ensemble, nous sommes allées manifester. »

Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là, au musée Carnavalet – histoire de Paris, jusqu’au 24 août

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