Lauriane Nicol (« Lesbien Raisonnable ») : « J’adore les histoires d’amitié et de gangs de meufs au cinéma »

Derrière le compte et le média « Lesbien Raisonnable », qui traite avec espièglerie et sérieux de l’actu culturelle lesbienne, il y a Lauriane Nicol. Avec Alex Lachkar, chercheur en littérature lesbienne contemporaine, iels ont créé le prix Gouincourt, fondé cette année et qui récompense le meilleur de la littérature lesbienne. À l’approche du verdict, le 7 novembre prochain, on lui a soumis notre questionnaire cinéphile.


Lauriane Nicol © Aude Boyer
Lauriane Nicol © Aude Boyer

Trois films qui, ado, ont éveillé ton regard ?

Mulholland Drive de David Lynch, découvert trop jeune. J’avais vu la photo de deux femmes qui s’embrassaient dans un magazine télé. À 14 ans, tu ne comprends rien. À 34 non plus mais tu t’en fiches parce que c’est beau. C’est là que je me suis rendu compte qu’on pouvait faire des films-poèmes, surréalistes. Dans Paris de Christophe Honoré m’a énormément marquée. C’était une façon de faire du cinéma avec des codes, comme ceux de la Nouvelle Vague, que je n’avais pas à l’époque. J’ai découvert tout un monde. Et Les Amours imaginaires de Xavier Dolan.

Trois films lesbiens essentiels, mais trop peu connus ?

Pourquoi pas moi ? de Stéphane Giusti. C’est très loufoque, français, rigolo, bizarre. Coup de foudre de Diane Kurys, une histoire d’amitié forte entre Isabelle Huppert et Miou-Miou. Et Dans les ténèbres d’Almodóvar dans lequel Yolanda, une chanteuse de cabaret et trafiquante de drogues se retrouve chez des sœurs, dans un couvent, après la mort de son mec. J’adore ce film.

Coup de foudre © Tamasa / Studio Canal
Coup de foudre © Tamasa / Studio Canal

Trois crush quand tu avais 13 ans ?

Nala du Roi Lion. Je la trouvais trop belle, féminine. Jennifer Aniston, notamment dans Friends. À 13 ans, j’aimais beaucoup Coyote Girls de David McNally, que j’aime toujours, et j’avais un crush pour la tenancière du bar qui par ailleurs est une actrice lesbienne [Maria Bello, ndlr].

Tes trois réalisatrices préférées ?

Céline Sciamma, que j’ai découverte avec Tomboy, devant lequel j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Rebecca Zlotowski et notamment Planétarium. C’est un film qu’il faut décrypter, ce que les gens veulent bien faire quand il s’agit du cinéma de Lynch mais pas de celui de Zlotowski. Et Chantal Akerman. La scène de coming-out des Rendez-vous d’Anna, où le personnage d’Aurore Clément est dans le lit avec sa mère, est indépassable.

Trois films dans lesquels tu aimerais vivre ?

Nine to Five [Comment se débarrasser de son patron en VF, ndlr] de Colin Higgins. C’est rigolo, léger et en même temps le propos [trois employées qui se rallient pour se venger de leur patron, ndlr] me parle. J’adore les histoires d’amitié et de gangs de meufs au cinéma. Dans les crush, il y a aussi Irène Jacob. Comme on est dans TROISCOULEURS [le nom de notre magazine est inspiré de la trilogie du même nom du cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski, ndlr], je vais dire Rouge, qui est mon préféré de la trilogie. Et enfin Femmes au bord de la crise de nerfs d’Almodóvar. Ou peut-être Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, pour manger beaucoup et foutre le bordel !

Trois baisers lesbiens qui ont révolutionné l’histoire du cinéma ?

Celui masqué de Portrait de la jeune fille en feu. Celui de Jennifer Tilly et Gina Gershon dans Bound des soeurs Wachowski. La scène du coupe-ongle dans Go Fish de Rose Troche, dans laquelle Guinevere Turner coupe les ongles de V. S. Brodie qui est son date. C’est presque mieux qu’un baiser lesbien.

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Go Fish

Si tu devais te décrire en trois personnages de fiction ?

Le personnage de Cheryl Dunye dans The Watermelon Woman, pour le côté obsessionnel, pour son goût pour les archives et parce qu’elle arrive à sortir avec Guinevere Turner ! J’ai découvert récemment Contes du hasard et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi. Je m’identifie au personnage de Natsuko [Fusako Urabe, ndlr] qui est complètement socially awkward [bizarre socialement, ndlr]. C’est moi !  Enfin, l’enfant dans Aftersun de Charlotte Wells, car on voit à travers de petites choses très fines que c’est un enfant lesbien.

Trois films lesbiens qui s’ignorent ?

Beignets de tomates vertes de Jon Avnet. C’est une histoire d’amitié. Il y a dans le film une scène de bataille de bouffe qui est une métaphore sexuelle. C’est une bonne entrée pour comprendre le crypto-lesbianisme. Vie Privée de Rebecca Zlotowski dans lequel Jodie Foster est obsédée par Virginie Efira. Je ne sais pas si le film s’ignore mais il joue avec nous. La Banquière avec Romy Schneider en banquière powerfull [puissante, ndlr] qui a plein d’amants mais qui entretient aussi une drôle de relation avec Marie-France Pisier. Elles auraient dû, elles auraient dû !

Les trois films lesbiens les plus « Lesbien Raisonnable » ?

Portrait de la jeune fille en feu : mon compte a été beaucoup plus suivi à ce moment-là, il s’est passé quelque chose. Quand j’ai sorti un magazine papier [en septembre 2023, ndlr], c’était Céline Sciamma en couverture. Je suis hyper admirative d’elle, d’Adèle Haenel, de leurs engagements, de ce qu’elles disent de l’industrie du cinéma. Tout ça est imbriqué dans mon militantisme. On a besoin de modèles. Fragment d’un parcours amoureux de Chloé Barreau. J’ai cru à une blague au début tant le film condense certaines de mes obsessions –  Rebecca Zlotowski, Anne Berest et Anna Mouglalis [qui jouent dans le film, ndlr]. Je suis restée choquée pendant 48h à regarder mon plafond. C’est un film passionnant sur la notion de lesbophobie intériorisée. But I’m a Cheerleader, parce que ça parle d’un sujet grave et pourtant c’est une comédie très réussie. J’espère que Lesbien Raisonnable arrive à faire ça, à avoir un propos et à rigoler en même temps.

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Couverture du magazine papier « Lesbien Raisonnable » avec Céline Sciamma

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