LA SEXTAPE · « Kika », un film dans la lignée provocatrice de « Jeanne Dielman »

Journaliste cinéma et animatrice du Cercle sur Canal+, Lily Bloom nous parle du film « Kika » d’Alexe Poukine, plongée vertigineuse et politique dans la vie d’une jeune travailleuse du sexe.


Kika
© WRONG MEN

S’il ne me restait plus rien, est-ce que je vendrais mon corps ? C’est une question brutale, mais que beaucoup de femmes se sont posée un jour. Et c’est précisément là que commence Kika d’Alexe Poukine (montré à la Semaine de la critique en mai et en salles le 12 novembre), où le sexe n’est ni fantasme ni perdition, mais une option de survie. Ce qui bouleverse ici, c’est ce réalisme cru, ce pragmatisme sans détour qui rend les scènes de sexe tarifé profondément troublantes.

Et si je décidais de vendre mon corps… par quoi commencer ? Une culotte sale sur Vinted ? Une vidéo de mes pieds ? Kika, bousculée par la vie, est en train de perdre pied : un deuil brutal, la précarité qui surgit. Elle quitte son poste d’assistante sociale pour devenir travailleuse du sexe, et en explore les contours avec rigueur, lucidité – et une forme de conscience professionnelle. Un peu d’humour aussi. Elle pourrait être n’importe laquelle d’entre nous. La caméra s’attarde sur les gestes, les détails concrets : combien ça coûte ? Où ça se passe ? Peut-on refuser la pénétration ? Peut-on se prostituer sans se perdre ?

● ● À  LIRE AUSSI ● ● LA SEXTAPE · Val Kilmer, la poupée Barbie ultime

Le film politise l’intime sans jamais imposer de morale. Et puis il y a le BDSM, qui devient un territoire inattendu de guérison, une plongée tranquille dans les recoins les plus sombres de la psyché humaine. Kika bouscule par sa clarté. Refus du spectaculaire, mais aussi de céder à la facilité du discours. Dans une scène saisissante, l’héroïne et une amie dominatrice rendent visite à un riche client : il demande qu’on lui change la couche, qu’on le berce comme un bébé, avec sérieux. Kika reçoit avec violence le besoin de consolation de cet homme. Sa partenaire, plus expérimentée, lui souffle : « Il faut du courage pour oser demander ce qu’il demande. » Et tout à coup, le film saisit l’humanité paradoxale de ces échanges tarifés, loin du grotesque, au plus près d’une vérité nue.

Dans la lignée de Girlfriend Experience et, bien sûr, de Jeanne Dielman, Kika est d’une modernité foudroyante. Et les questions restent, bien après le générique : qu’est-ce qui est le plus dégradant, être broyée sans broncher par un système de domination implacable ou être payée pour cracher sur un inconnu qui se masturbe en léchant vos chaussures ? Il faut du courage pour poser ces questions-là.

Kika d’Alexe Poukine (Condor Distribution, 1h48), sortie le 12 novembre 2025