« Un Monde » : cruelle cour de récré

Entre les murs d’une école dans laquelle le problème du harcèlement résonne avec fracas, la cinéaste bruxelloise Laura Wandel se sert de sa caméra comme d’une longue-vue braquée sur la détresse de Nora, 7 ans, figure magnétique de ce thriller très maîtrisé.


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« Pourquoi ils font ça ? » chuchote Nora à son grand frère Abel, la tête posée contre son épaule, après qu’il a subi une nouvelle humiliation de la part d’autres enfants. « Je sais pas », dit-il, sans bouger, près de la porte ouverte des toilettes… Au fil de ce premier long métrage d’une rare intensité, tourné presque uniquement dans l’enceinte de l’école, nul ne saura vraiment répondre à cette angoisse ni trouver la source du dérèglement.

Aux antipodes des récits qui associent les premières années de l’existence à une sorte de paradis perdu, Un monde nous rappelle que la violence peut aussi être l’une des boussoles de l’enfance, même dans une école primaire censée être un sanctuaire. Adoptant en continu le point de vue de Nora (la jeune Maya Vanderbeque, épatante de justesse), contrainte de laisser son père (Karim Leklou) derrière la grille pour son premier jour de classe, le film immerge d’emblée le spectateur dans un climat pesant, transpercé par le brouhaha de la cour de récréation, les cris des élèves à la cantine, à la piscine, ainsi que dans les longs couloirs où s’engouffrent les rapports de force propres à chaque lieu de socialisation.

Une fois la place des adultes réduite à quelques échanges avec le père et aux interventions touchantes mais vaines d’une institutrice à l’écoute, Laura Wandel construit une arène impressionnante dans laquelle son personnage principal navigue à vue, déterminé à protéger son frère tout en essayant de s’intégrer du mieux possible. Ainsi s’étirent les plans au sein d’un cadre à l’étroit que des corps étrangers traversent en courant – pour jouer ou pour faire mal ? Hors champ, le tumulte décuple la tension et les zones grises de la journée, au milieu des tranchées d’une enfance passée au tamis du réel, somme de mondes complexes et rugueux qui se télescopent mais n’assomment personne avec un penchant doloriste ou un discours prémâché.

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Trois questions à Laura Wandel

L’école est un des personnages centraux du film. Comment l’avez-vous trouvée ?

Je crois que j’ai quasiment vu toutes les écoles de Bruxelles. Le rapport entre l’espace de l’école et l’espace citadin était hyper important. Il fallait que l’entrée de l’établissement donne sur la rue, pour les scènes avec le père, 
et qu’il y ait une ouverture possible pour communiquer. Tout en donnant une impression de prison et d’enfermement.

La partie sonore est très immersive…

La bande sonore a été construite comme une partition musicale, de manière très précise. En amont du tournage, les ingés son allaient prendre des sons de cour de récré, puis on a réenregistré pas mal de voix off pour faire exister encore plus le hors-champ, mais aussi des respirations, des cris. Ça a pris des mois, donc chaque cri d’enfant est hyper maîtrisé, placé pour susciter ou non de la tension, et on savait que la difficulté allait être de trouver un juste milieu pour ne pas non plus épuiser les oreilles du spectateur.

Est-ce que la notion de bourreau a vraiment du sens quand on parle d’un enfant ?

Ce que je vais dire peut paraître étrange, mais, pour moi, « bourreau » et « victime », c’est presque la même chose. Quand l’enfant est violent, c’est qu’il est en souffrance, que quelque chose ne va pas. En fait, la violence est une réaction, et de toute façon c’est pareil dans notre monde d’adultes.

Un monde de Laura Wandel, Tandem (1 h 15), sortie le 26 janvier