
Si Wes Anderson enchaîne les films, c’est peut-être pour aller plus vite que les malentendus et réductions schématiques qui entourent son cinéma depuis quelques années. Réduit à quelques tropes de son style minimaliste fétichiste (la symétrie, les gens chic, la couleur), son esthétique a toujours été au service d’un propos, d’une façon de raconter le monde.
Surprise, il y a des films derrière ce que l’époque voudrait transformer en filtre instagram. Et si Asteroid City jouait avec humour et émotion la carte de l’échappée sur place pour raconter à sa manière la sidération de la pandémie, The Phoenician Scheme lui décide d’aller du côté des coups pour comprendre où ça déconne. Mogul aux entreprises douteuses, Zsa Zsa Korda fait régner la terreur par sa poigne et son argent. Mais quand l’homme que tout le monde veut abattre fait un tour inopinée dans l’au-delà (sublime vision mi Bergman mi Bunuel), le voici qui, revenu, veut léguer son empire à sa fille, Liesl, partie au couvent. Des retrouvailles père-fille traitée par le prisme de ce daron capitaliste où tout est combat, domination, contrat et reddition. Car plutôt que d’affronter ses sentiments, de baisser les armes, Zsa Zsa veut donner à Liesl une leçon dans l’art de négocier et l’entraîne avec elle aux quatre coin de la Phoenicie pour sceller un obscur deal.
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Faux film d’aventure, The Phoenician Scheme avec ses tons pâle, ses échappés en noir et blanc, son héros bourru et son intrigue obscure est le plus sombre des films de Wes Anderson. Un film peuplé de gentleman idiots qui se mènent des combats de coqs (de Tom Hanks en yankee à Mathieu Amalric en français précieux), d’enfants abandonnés à eux-mêmes, de transactions douteuse et de frères ennemis. Dans ces hypothétiques années 1950, c’est le mariage terrible de la virilité, du capitalisme et du colonialisme que raconte Wes Anderson comme une fable à destination d’aujourd’hui. Une fantaisie du chaos mené avec style par le grand Benicio Del Toro, ogre Roaldahlien parfait. Du cinéma comme un conte dont la virtuosité à réussir à tout maintenir en équilibre, raconte mieux que jamais l’absurdité du monde auquel on s’est étrangement habitué. Un mélange de classe et de mordant qui frappe juste.
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