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Xavier Lacaille : « Quand je n’arrive pas à mettre mon masque social, ça me tord profondément » 

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-10-02

Dans la géniale comédie « Bis Repetita » d’Emilie Noblet (en salles dès le 20 mars), il joue un jeune thésard brillant et drôle de naïveté, embarqué en Italie aux côtés d’une prof démissionnaire (Louise Bourgoin). Révélé dans la subtile série « Parlement », Xavier Lacaille nous séduit à tous les coups. On avait tiré son portrait en 2023 à l’occasion de la diffusion de la saison 3.

Avec la redoutable saison 3 de Parlement, Xavier Lacaille renfile le costume d’un jeune conseiller politique plus si naïf, jeté dans le grand bain de la diplomatie européenne. Mais cet ancien cancre, avide de mots et de fictions, est surtout un scénariste prolifique et saillant (Têtard, Validé), qui se jette à corps perdu dans les histoires pour guérir un peu ses peurs.

« On me voit volubile, mais je suis un introverti. Je transforme mon angoisse en grande excitation » attaque Xavier Lacaille, dégaine adolescente et cheveux en bataille. Avant de glisser, plein d’autodérision : « Pardon pour cette psychologie de comptoir ». Le préambule, singulier mélange de confession et de pudeur, en dit long sur le personnage. A 33 ans, l’acteur-auteur cultive avec rigueur l’art de l’éparpillement, du déséquilibre. Propulsé par la série politique Parlement (dont la saison 3 vient de sortir sur France.tv) - il y campe avec une agilité mutine un conseiller parlementaire mi-néophyte, mi-manipulateur -, Xavier Lacaille est aussi un scénariste affamé, un aventurier de la fiction. En terrasse de la brasserie de Pigalle où il nous a donné rendez-vous de bonne heure – pas de répit pour les workaholic -, on comprend rapidement que cette dispersion « fatigante mais constructive » - se nourrit – premier, mais pas dernier paradoxe – d’une ascèse absolue. « Quand je sens que je ne suis pas aligné avec ce qu’on attend de moi – énergique, sympathique -, quand je n’arrive pas à mettre mon masque social, ça me tord profondément. Le plus souvent, je m’apaise grâce à l’hypnose, la méditation, le sport. L’effort intense, ça recentre. » 

En nous expliquant qu’il pratique avec ferveur le jiu-jitsu brésilien, un art martial, Xavier Lacaille verse une goutte de Ginseng dans son thé. Une plante médicinale qui, comme nous l’apprendra plus tard une recherche Google, aide l’organisme à lutter contre les agressions et… les instabilités. Chez lui, le corps et l’esprit sont au diapason, mais dans le fracas, la tempête.  

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L'ÉTUDIANT

La preuve : il pratique la réflexion comme un sport de combat, entraîne sa mémoire comme un gymnaste (« J’ai un drive dans lequel je fiche les choses que je lis et vois, pour retenir les choses. Mais j’accepte progressivement que je ne peux pas tout retenir »). Il carbure à la pensée, se drogue aux histoires, dévore les récits pour mieux se réinventer. On sent l’obsession, impossible à calmer, du mot juste, réparateur, celui qui sera capable de pointer très précisément une vérité intérieure. De la bonne citation – pas celle qui le fera passer pour un singe savant, mais qui lui permettra d’atteindre plus vite une émotion intacte, une consolation pure. « J’adore retenir des citations, non pas pour les redire, mais pour avoir des maximes qui m’aident dans la vie tous les jours, des phrases de gens qui arrivent à énoncer des profondeurs intimes, des choses sibyllines que tu ne comprends pas toi-même. C’est ça, la fiction, ce moment où tu te dis : « Je comprends mieux ma vie ». 

Dans sa bibliothèque, il y a Claude Levi-Strauss, qui l’a, « bizarrement, vachement aidé ». C’est que l’anthropologie, comme le droit, sont des grilles de lecture rassurantes, qui nous disent comment fonctionne une société aux prismes de ses lois et organes, explique-t-il. Sa bible, c’est le Vidal de psychiatrie (un dictionnaire anthologique) « on y réalise que les maux sont les mêmes pour tous : c’est une arborescence, avec une racine commune », en concurrence avec L’Hypnose thérapeutique de Milton Erickson, « un pavé de jurisprudence psychologique qui décrit des cas psychiatriques » dans la veine de Freud et Jung. Une mine d’or pour nourrir ses personnages. 

Parlement, saison 2

D’où vient cette soif d’apprendre ? Fils de médecins divorcés, il grandit dans une famille conflictuelle, « sans aucune structure », avec dix demi-frères et sœurs qu’il ne connaît pas vraiment. « ‘Seul avec du monde autour’, comme dirait Orelsan » conclut ce fan de PNL, qui a créé avec Franck Gastambide la saison 1 de Validé (2020), immersion hyperréaliste sur les arcanes du rap français. A l’adolescence, il est en échec scolaire, lorgne sur la dépression, perdu dans les limbes des jeux vidéo Warhammer.

Après le bac, il s’inscrit dans un community college de San Francisco, et découvre le théâtre en parallèle de ses cours de sciences politiques. C’est une épiphanie, le début d’un insatiable besoin de rattraper le temps perdu, de panser des lacunes qui restent comme des blessures (« Je me suis dit : j’ai quinze ans de retard »). Plutôt que la voix royale, il cède aux sirènes (très sérieuses) du dilettantisme. De retour en France, il est sur tous les fronts : un passage avorté en médecine, une double licence en droit franco-américain à Nanterre, des cours de théâtre à Londres et au cours Florent, puis la FEMIS en section scénario. Impossible de remettre en ordre la temporalité de ce CV vertigineux. Ces mille vies finissent par converger vers le pays grisant de l’écriture.

Embauché à Canal +, il écrit pour des humoristes, baigne dans les writers’ rooms, ces salles d’écriture de scénarios où il réapprend à faire équipe (et famille). « Je poursuis la collectivité, parce que c’est un truc difficile à entretenir, dans le monde professionnel et amical ». Les punchlines fusent autour de lui ; il ne les prend pas au vol. Son point fort, c’est de sculpter les personnages, d’élaborer tel un architecte intérieur leurs névroses, d’affiner les arcs narratifs. En tant qu’acteur, il cultive une énergie « parfois débile », jamais cérébrale.

En tant que scénariste, il est tout l’inverse : stakhanoviste, limite un peu geek. « Dans une bonne fiction, chaque séquence converge vers une seule question-fiction, une métaphore, même de manière très implicite. Chaque personnage doit avoir un conflit conscient et un conflit inconscient, qui entrent en contradiction. C’est presque mathématique ; en même temps c’est complètement sentimental. C’est un concept dramaturgique qui fait sens sentimentalement, quand on l’a expérimenté dans sa chair » analyse-t-il, les yeux ardents de passion et le débit enflammé. 

Parlement, saison 2

ENTRE LES LIGNES

L’équation fait mouche dans sa géniale minisérie Têtard, coécrite en 2019 avec Clémence Dargent. Il y raconte les déboires d’un jeune couple parental (Bérangère Krief et Estéban), en adoptant, pour chaque épisode, un genre différent. Soudain, la banalité de la conjugalité, de l’éducation, rencontre les codes du western, du polar, de la comédie musicale. Une habile façon d’emprunter des détours, pour évoquer ses questionnements autour de la filiation, sans livrer ses états d’âme en pâture. « Par exemple, Titanic, ce que tu vois, c’est une histoire d’amour. Mais l’implicite, c’est la lutte des classes. Moi, j’évite la littéralité, parce qu’elle me semble facile, et que j’ai trop de pudeur. Ce qui m’intéresse, c’est comment une parabole se transforme en idée de mise en scène. » 

Des allégories formelles, des inventions narratives, il en fourmille dans Miskina, la pauvre, coécrit et inspiré du parcours de l’humoriste Melha Bedia (« Une fille brillante, il faudrait analyser chacune de ses vannes »), trentenaire d’origine algérienne, sorte de Tanguy moderne, au chômage et célibataire. Une série dont le fil rouge très sérieux – parler des contradictions qu’une femme éprouve vis-à-vis de la spiritualité et de sa religion, l’islam - n’empêche pas l’onirisme. « Quand Melha me parle du « muslim bachelor », cet idéal de mec en TMAX, on décide tout de suite de réutiliser cette figure en la mettant dans une boîte « Ken » orthographié en arabe. »  

Têtard, saison 2

En plus du spectacle qu’il joue actuellement à la Comédie de Paris avec Ambroise Carminati (son comparse, rencontré au bureau des auteurs de Canal), et sur lequel plane la poésie déroutante de Bo Burnham, Xavier Lacaille écrit un premier film « mélancolique », inspiré de son court Un dernier été (2022), qui a l’odeur de ses propres souvenirs d’ado contrarié par la pression tyrannique du groupe. Il écrit un roman aux résonances intimes, trop intimes (« C’est une souffrance, mais je veux le faire. Rien que d’en parler je sens mon corps se tordre, je suis là à écrire et je me dis : « Mais mec ferme là ! »). Il a bouclé une série sur la fête de la musique, dont chaque épisode se passe un 21 juin, sur 40 ans, et veut écrire un long sur une croisière qui dérive au milieu de l’océan. Quand on lui demande, au bout de ses sinueuses et absorbantes digressions, ce que dissimule cette boulimie du travail, il convoque – ultime parade du timide – les mots d’un autre, Patrick Modiano : « On décide d'écrire parce qu'il y a quelque chose qui cloche, sinon on se contenterait de vivre ».  

Parlement, saison 3, sur France TV.

Ambroise et Xavier, à la Comédie de Paris, tous les mardis et mercredis à 21h

Portrait (c) Canal +

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