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Vu à Venise 2023 : « Pauvres créatures » de Yórgos Lánthimos, un Frankenstein féministe tordu et jubilatoire
- Quentin Grosset
- 2023-09-01
Avec le passionnant « Pauvres créatures », le toujours grinçant Yórgos Lánthimos donne sa version quirky et ornementale de Frankenstein, avec une Emma Stone géniale, seule figure d’espérance dans un monde mascu empreint de cynisme et de noirceur.
Le film, qui sort le 17 janvier prochain, a obtenu le Lion d'or à la Mostra de Venise 2023 (retrouvez tout le palmarès ici).
Yórgos Lánthimos nous revient avec une esthétique surchargée, goth, sophistiquée, baveuse, qui tire tantôt vers les frères Quay, tantôt vers Eraserhead de David Lynch. Multipliant les prises de vue en fish-eye, il nous présente un (vieux) monde distordu, ratatiné, déliquescent. Celui du grêlé Dr. Godwin Baxter (Willem Dafoe) vu par les yeux de sa créature, Bella (Emma Stone), une femme suicidée ramenée à la vie, à laquelle le scientifique sans scrupule a greffé le cerveau du fœtus qu’elle portait.
« Mise à mort du cerf sacré » de Yorgos Lanthimos
Lire la critiqueBella a donc un corps d’adulte avec la conscience d’un embryon – c’est le Frankenstein version Lánthimos, qui n’hésite pas à verser dans le douteux pour illustrer l’innocence bafouée. Emma Stone, dont le jeu tout en saccades grimaçantes, au burlesque obscène et anarchisant, compose admirablement avec l’intériorité limitée de son personnage. On l’observe apprivoiser son environnement, accueillir son chaos sans peur des dangers, dans un mimétisme primaire des comportements brutaux de son créateur - qui la cloître dans son manoir poussiéreux.
Ce n’est que lorsque ce dernier la laisse enfin s’échapper que Bella devient peu à peu une sorte de Candide chez les mascus. Alors qu’elle se dépêtre avec le langage, avec son corps dont elle apprend à tirer toute la puissance, sans méchanceté elle met au jour l’idiotie et la petitesse des hommes, ces « pauvres créatures » qui veulent tour à tour la marier (parmi eux, Duncan Wedderburn, incarné par un Mark Ruffalo irrésistible en vieux beau piteux).Over-lookéeavec ses incroyables robes aux épaules bouffantes, armée de sa curiosité indéfectible, Bella, elle, explore ce monde bilieux avec gourmandise et, au final, le réenchante un peu.