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Sonia Kronlund : « J'aimerais vivre dans 'Nos plus belles années' de Sydney Pollack »
- Léa André-Sarreau
- 2024-02-06
Dans son premier roman « L'Homme aux mille visages », prolongement d'un reportage des « Pieds sur terre » qu'elle produit sur France Culture et qu'elle a adapté en documentaire (en salles le 17 avril), Sonia Kronlund enquête sur un salaud ordinaire, menteur professionnel et séducteur en série. Avec l'aide des femmes qui l'ont fréquenté, elle dissèque les rouages de cette imposture amoureuse aux accents métaphysiques : pourquoi s'invente-t-on des vies ? Ce thriller romanesque, qui brouille les repères du réel, nous a donné envie de soumettre notre questionnaire cinéphile à la journaliste.
3 films sur le journalisme que vous conseilleriez ?
Tout d'abord, Citizenfour de Laura Poitras. Voir Edward Snowden [lanceur d'alerte qui dénonça en 2013 le système de surveillance généralisé de la NSA aux Etats-Unis, ndlr] se mettre un cache sur la tête pour réaliser un transfert de données, qui conduira à un scandale d'espionnage à l’échelle internationale, est un grand moment d'histoire et de cinéma. Ensuite, The Ambassador de Mads Brügger [dans ce documentaire politique, le réalisateur infiltre les réseaux criminels de la République centrafricaine, en se faisant passer pour un ambassadeur, ndlr]. C'est un film burlesque, une caricature du journalisme gonzo qui dévoile un secret hallucinant : la possibilité d’acheter des charges diplomatiques.
Enfin, j'ai choisi L’Affaire collective d'Alexander Nanau - réalisateur du magnifique Toto et ses soeurs, qui a aussi été mon chef opérateur sur Nothingwood. On y suit, en temps réel, la révélation d’une corruption massive du système de santé publique en Roumanie, par un journaliste sportif à peine équipé d’un Nokia. Le documentaire a changé le destin du pays. Ces trois films appartiennent au pur style du cinéma-vérité : un bouleversement historique, enregistré par un journaliste, se déroule sous les yeux du spectateur. Je suis fascinée par la manière dont ces œuvres se rapprochent de la fiction sur le plan dramaturgique - alors mêmes qu'elles s'emparent d’événements bien réels.
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Lire l'article3 imposteurs passionnants au cinéma ?
Hossein Sabzian dans Close-up d’Abbas Kiarostami. C'est un imposteur très modeste, un homme du peuple. Le genre de personnage qui me touche particulièrement. Sans oublier qu'il est iranien, et l'Iran est mon pays de cœur. Close up est un film total, qui réfléchit au pouvoir du cinéma - tout comme mes deux films, Nothingwood et L'Homme aux mille visages. Pourquoi a-t-on besoin de fiction, pourquoi les réalisateurs captivent ? Jusqu’où va leur pouvoir ? Sont-ils des manipulateurs ? Close-up est un exercice de style qui travaille la porosité avec le romanesque. On ne sait jamais exactement où se situent les faits, ce qui est rejoué ou non par les acteurs. C'est toute la poésie de Kiarostami, maître absolu.
Ensuite, j'ai choisi Frank Abagnale dans Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg. Il est le personnage préféré du héros de mon livre, L'homme aux mille visages, qui s’invente lui aussi mille vies [se faisant appeler Ricardo, cet homme-caméléon mène plusieurs histoires conjugales en parallèle, ndlr]. Ca m'interpelle, qu'il revendique cette admiration auprès des femmes, qu’il joue avec le feu. En même temps, pourquoi douteraient-elles ? Frank Abagnale, c'est l'imposture dans toute sa splendeur, mais une imposture plutôt joyeuse. C'est le menteur qui ne fait pas tant de mal que ça - alors que Ricardo si.
Enfin, Frédéric Bourdin dans The Imposter de Bart Layton. Ce documentaire est inspiré d’une histoire vraie - la disparition d'un enfant dans une famille texane - qui a défrayé la chronique en 1994. Trois ans plus tard, un adolescent étrange réapparaît et se présente comme leur fils. Evidemment, c'est un mensonge. Il ne lui ressemble pas, l'arnaque est évidente. Mais il s'incruste dans la vie de ces parents, qui l’accueillent à bras ouverts. The Imposter est une grande histoire sur la détresse de ceux qui ont une folle envie de croire.
3 histoires des Pieds sur terre qui mériteraient une adaptation au cinéma ?
Ma fille sous influence de Remi Dybowski-Douat et Laure Marchand. Un podcast très narratif, grâce auquel nous avons inauguré les séries à “binger”. C’est très écrit, travaillé, scénarisé, haletant, pour susciter l'envie de connaître la suite. Il y a matière à une formidable série. Les enjeux sociaux et politiques abordés passionnaient tout le monde à ce moment-là : comment une post-hippie découvre et gère la radicalisation progressive de sa fille, endoctrinée par les réseaux de l’Etat islamique ?
Mes années Boum d’Adila Bennedjaï-Zou [dans laquelle la journaliste enquête sur la mort de son père, assassiné en Algérie en 1975, ndlr], un documentaire écrit à la première personne, très incarné, qui assume sa voix subjective. Adila Bennedjaï-Zou, autrice prolifique et brillante, pratique une écriture de soi particulière. Elle y est à la fois elle-même et étrangère. Pour décrire son travail, Adila Bennedjaï-Zou emprunte souvent l’expression d'“autobiographie collective” à Annie Ernaux.
Enfin, une émission que je cite souvent car c'est un exemple parfait de la façon dont la réalité excède la fiction : La mère porteuse de Leila Djitli [sur une mère condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir pratiqué la gestation pour autrui, et "vendu" le même enfant à plusieurs couples, ndlr]. Ce récit ne peut exister que sous forme documentaire. En fiction, le spectateur n'y croirait pas, à moins de mentionner que l'histoire est “basée sur une histoire vraie”. C’est aussi un épisode qui incite vivement à encadrer la GPA.
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Lire l'article3 réalisatrices avec qui vous aimeriez dîner ?
Alice Rohrwacher, car j’aimerais vivre dans ses films. Heureux comme Lazzaro et La Chimère sont des chefs-d’œuvre. Elle a un univers très singulier, qui s'enracine dans cette région très particulière de l’Italie, aux confins de l’Ombrie. Son cinéma est traversé de préoccupations sociales, écologiques, politiques, et esthétiques fortes. Il existe une parfaite adéquation entre sa vision du monde et son expression formelle. Elle travaille avec Hélène Louvart, qui a éclairé ses films et que j’admire beaucoup.
Je dînerais bien avec Virginie Despentes. C’est un peu une blague, parce qu'elle n’est pas connue pour ses films. Mais je les aime bien. Heureux hasard : la cheffe opératrice de Bye Bye Blondy est justement Hélène Louvart. Les trois heures d'entretiens que Virginie Despentes a donné à Victoire Tuaillon dans Les Couilles sur la table ont marqué un tournant intellectuel dans ma compréhension du mouvement féministe aujourd'hui, du moment post-MeToo que l'on vit. Elle y parle aussi de son expérience douloureuse en tant que réalisatrice, dans une industrie misogyne. Enfin, j'ai choisi Jane Campion parce que je l'aime, tout simplement.
3 films dans lesquels vous aimeriez vivre ?
Monika d’Ingmar Bergman. Je suis à moitié suédoise, et j'ai passé mes vacances d’enfance sur un île semblable à celle du film [qui raconte la fuite d'une jeune fille éprise de liberté et d'un livreur dans un archipel, ndlr]. Il me procure un petit pincement de cœur à moitié patriotique. J'admire beaucoup Bergman et sa première période méconnue, où il a réalisait des comédies, des films moins noirs que par la suite, par exemple sa superbe adaptation du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, intitulée Sourires d'une nuit d'été.
Je pourrais vivre dans Nos plus belles années de Sydney Pollack, qui raconte l’histoire d'amour entre le plus bel homme du monde et une jeune femme militante et joyeuse. Un film magnétique, qui incarne l'intelligence et l'engagement. Rio Sex Comedy de Jonathan Nossiter [l'histoire croisée de trois expatriés au Brésil, ndlr], un réalisateur que je connais bien. Cette tragi-comédie dégage une joie, une puissance, une liberté, un souffle extraordinaire. On y découvre le Brésil avant que la bulle n'explose, même si on pressent que la menace n'est pas loin. C'est un film drôle, où l'on se sent accueilli, où l'énergie positive des acteurs et de l’équipe transparait à l'écran.
3 films iraniens inoubliables ?
Close-up d’Abbas Kiarostami, encore et toujours. Il existe une anecdote géniale à propos de ce film. Dans la dernière séquence, le vrai réalisateur, Mohsen Makhmalbaf, va chercher celui qui a usurpé son identité, Hossein Sabzian, à sa sortie de prison. Ils s'enlacent, et partent ensemble en moto. Le spectateur assiste à ces retrouvailles de loin, comme en caméra cachée - l'idée d'artifice pointe déjà. Kiarostami renforce cette duperie en nous montrant les techniciens à l'intérieur du camion régie. Tout à coup, le son de la conversation entre les deux protagoniste est haché, on les entend à peine. Grâce à des plans sur le camion régie, on déduit que le système son HF fonctionne mal. Or, tout ceci n'est qu'une mise en scène. Kiarostami a jugé leurs propos sans intérêt, et usé de cette ruse - faire croire au spectateur que les HF sont déficients - pour couvrir leur conversation et préserver la puissance poétique, l'effet de réel de la scène.
Mon deuxième choix est Au travers des oliviers d’Abbas Kiarostami. J'y décèle une douceur très touchante, une beauté de la répétition. J'aime ces plans de lacets, ces personnages qui montent et descendent dans le paysage, ces larges cadres photographiques, arpentés par des êtres minuscules. Ce motif du slalom, que l'on retrouve dans Le Goût de la cerise, est la signature de ce cinéaste.
Enfin, j'ai choisi le documentaire Iranien de Mehran Tamadon. Il raconte l'histoire du réalisateur lui-même, un Iranien athée qui vit en France et retourne dans son pays pour passer deux jours dans une maison avec quatre mollahs, fervents partisans de la République Islamique d’Iran. Ces derniers acceptent de discuter avec Mehran Tamadon de la façon dont ils pourraient vivre ensemble, si cette maison était un pays. La réponse n’est pas encourageante, et le film installe une tension palpable qui en dit long sur la façon dont la religion est un instrument de pouvoir en Iran.
Portrait (c) ©️denisdarzacq
L’Homme aux mille visages de Sonia Kronlund, Grasset, 19 €, 180 p.
L’Homme aux mille visages de Sonia Kronlund, sortie le 17 avril 2024 en salles, 1h 30min, Pyramide Distribution