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Rentrée littéraire : 9 biopics à ne pas manquer 

  • 2021-08-16

521 romans vous attendent cette année pour la rentrée littéraire, et autant de personnages dont certains très connus, la mode des biopics et récits inspirés d’une histoire vraie ne fléchissant pas. On en a choisi dix.   

« Les Bourgeois de Calais » de Michel Bernard (La Table Ronde, 196 p., 20€)

En 1884, un certain Dewavrin prend le train de Calais, dont il est Maire, à Paris. Il veut rencontrer un sculpteur dont la réputation est parvenue jusqu’à lui : Auguste Rodin, pour lui proposer de réaliser la grande œuvre à laquelle songe le conseil municipal depuis des années, un hommage aux six habitants qui, en 1347, se sont offerts aux Anglais pour sauver la population. Rodin accepte. Un chantier de dix ans commence…

De la correspondance entre l’artiste et son commanditaire, Michel Bernard a tiré ce roman qui trace leurs deux portraits : Rodin, perfectionniste maladif et génial, et l’édile, soutien fidèle et avisé, qui fait tout pour la gloire du sculpteur. Concis mais documenté, le roman reconstitue l’ambiance de la Troisième République et décrypte les enjeux politiques qui se cachent derrière les commandes officielles. Les visites dans l’atelier du maître rue de l’Université, où l’on croise Camille Claudel, sont un enchantement : on entend presque les coups de marteau.

« Tableau final de l’amour » de Larry Tremblay (La Peuplade, 200 p., 18 €)

Tableau final de l’amour raconte à la première personne la vie d’un artiste anglais qui ressemble à Francis Bacon, qui peint exactement comme Bacon et qui connaît les mêmes aventures que Bacon (jusqu’à l’exposition au Grand Palais de 1971, en présence de Pompidou). Mais l’auteur, Larry Tremblay, assure qu’il ne s’agit pas vraiment de Bacon, puisque tous les autres personnages et de nombreux détails personnels sont inventés…

Le roman met en exergue les liens entre la vie sentimentale et sexuelle de l’artiste et sa démarche artistique, ainsi que le mélange d’érotisme, de noirceur et de pulsion de mort qui caractérisent son univers. La langue est plutôt crue et les questions sexuelles sont abordées frontalement, au risque, parfois, d’une certaine complaisance ; Tremblay s’inscrit dans une veine à la Bataille, Leyris ou Genet, qui n’est pas sans donner un côté vaguement daté à ce roman tourmenté, charnel, un peu tape-à-l’œil mais tout de même saisissant.

« Tout ce qui est beau » de Matthieu Mégevand (Flammarion, 180 p., 18 €)

« Monsieur, vous avez en vous quelque chose d’inouï. Si Dieu le permet, vous ferez de grandes choses. De vous, on parlera encore dans plusieurs siècles, soyez-en sûr. » Ce dialogue entre le jeune Goethe, 14 ans, et le petit Mozart, 6 ans, lors de leur rencontre à Francfort en 1768, sort tout droit de l’imagination de Matthieu Mégevand, qui achève avec ce roman son triptyque sur l’art et les artistes, après La Bonne Vie (sur le poète Roger Gilbert-Lecomte) et Lautrec.

Le parti-pris est inchangé : un mélange de biographie et de roman où les trous sont comblés par la fiction, et un style épuré qui donne un livre bref, compact, sans emphase. La meilleure partie est la première, sur l’enfance nomade de Mozart que ses parents trimballent à travers l’Europe pour l’exhiber. On mesure au passage la place qu’occupait la musique dans la vie des cours et de la haute société européenne, même si les aristocrates n’avaient pas toujours le bon goût de se taire quand l’artiste s’installait au clavecin.

« La France goy » de Christophe Donner (Grasset, 442 p., 23 €)

Drumont fut l’auteur d’un best-seller de la Troisième République, La France juive, brûlot antisémite réédité 200 fois jusqu’en 1914. Christophe Donner renverse le titre : La France goy est une fresque touffue qui recrée l’atmosphère des années 1880-90, en citant force articles et discours de l’époque. Outre Drumont, serpent calomniateur qui « ne respire que par le scandale et par le duel », Donner met en scène deux autres vedettes, le romancier Léon Daudet et l’anarchiste Miguel Almereyda (alias Eugène Vigo, père du futur cinéaste Jean Vigo), sans oublier quelques seconds couteaux comme le Dr Bérillon, psychiatre demeuré célèbre pour son anti-germanisme proche du délire. Au milieu de ce tourbillon, l’auteur suit la trace de son aïeul Henri Gosset, monté à Paris en 1892, qui a côtoyé les protagonistes de cette histoire… En se plaçant du point de vue des personnages, Donner rend très vivant ce récit qui ressemble à un livre d’histoire écrit comme un roman, dans un style efficace et nerveux.

« Dans les oiseaux » de Xavier Lapeyroux (Anne Carrière, 224 p., 19 €)

Des oiseaux harcèlent les Parisiens, comme dans Les Oiseaux d’Hitchcock. Le héros, prof à la Femis, se trouve être un spécialiste du réalisateur. Par une coïncidence troublante, sa femme disparue s’appelait Suzanne, comme Suzanne Pleshette qui joue Annie dans le film. Le pire, c’est qu’elle lui ressemble beaucoup… « Un passage s’est créé entre la fiction et la réalité, entre le film d’Hitchcock et le monde réel, une brèche par laquelle les oiseaux se sont engouffrés pour venir semer la terreur ».

Xavier Lapeyroux avait déjà tâté du fantastique dans son premier roman, De l’autre côté du lac ; il signe ici un livre-hommage saturé d’allusions au chef-d’œuvre d’Alfred, doublé d’un jeu bien ficelé sur le vrai et le faux. A noter que le cinéma et les cinéastes s’invitent cette année dans plusieurs romans de la rentrée littéraire comme Les étoiles les plus filantes d’Estelle-Sarah Bulle, sur le tournage d’Orfeu Negro de Marcel Camus, ou Murnau des ténèbres de Nicolas Chemla, sur celui de Tabou, le dernier Murnau.

« Les Vies de Chevrolet » de Michel Layaz (Zoé, 126 p., 15 €)

La marque Chevrolet est synonyme de bolides de légende, de belles carrosseries et de rêve américain. Elle doit son nom très français au coureur automobile Louis Chevrolet, natif du Jura suisse, parti à la conquête du Nouveau monde. Fort de ses succès sur les circuits, il s’associe à l’entrepreneur Billy Durant et conçoit pour lui la Classic Six, premier modèle de la marque, un bijou de technologie avec six cylindres à culasse en T…

Avant de lâcher l’affaire et de donner son nom à Durant. « Son propre nom ! s’insurge Michel Layaz. En exclusivité ! On doit se pincer pour y croire. » C’est ainsi que Louis Chevrolet ne gagnera pas le moindre dollar sur les voitures qui porteront son nom… L’écrivain suisse raconte la vie de ce personnage dans un roman bref et captivant ; casse-cou, fonceur et ingénieux, Louis Chevrolet aura été le dindon de la pire farce de la grande histoire de l’automobile américaine, ce qui donne à ce livre plein d’huile et de bruit une touche étrangement mélancolique.

« Buenos Aires n’existe pas » de Benoît Coquil (Flammarion, 200 p., 18 €)

En 1918, Marcel Duchamp débarque en Argentine où il passera neuf mois. Il y mettra au point plusieurs œuvres dont Le Petit Verre. Il se trouve qu’on ne sait rien sur cette parenthèse dans son existence ; « Pour la raconter, explique Benoît Coquil, il faut appeler la fiction à la rescousse. » L’auteur imagine donc : les occupations (possibles) de l’artiste à Buenos Aires, les objets qu’il a (peut-être) emportés, les annonces qu’il a (peut-être) passées dans la presse, les rencontres qu’il a (peut-être) faites…

« Duchamp sera passé là comme un spectre. Un savon glissant sur une plaque de verre, sans retenir ni être retenu. Matériaux étanches l’un à l’autre, sans atomes crochus. » Le pari d’écrire un livre sur ce non-sujet est étrange, la brièveté du récit et l’impasse où aboutissent la plupart des pistes explorées par l’auteur témoignant du fait qu’il n’y a rien à en dire. Mais la bizarrerie même de ce pari fait le charme de ce court récit, dans une veine paradoxale qui n’aurait pas déplu à son héros.

« Passage de l’Union » de Christophe Jamin (Grasset, 134 p., 14,90 €)

Ferrailleur, magouilleur, millionnaire, collabo, résistant, Joseph Joanovici, dit « Monsieur Joseph », est une figure fascinante de l’histoire de l’Occupation. Il a inspiré de nombreux livres, notamment une bio d’Alphonse Boudard et une formidable bande-dessinée de Nury et Vallée. Christophe Jamin remet ce personnage interlope en scène dans ce bref roman placé sous le signe d’un écrivain, Patrick Modiano, idole de l’auteur, explorateur chevronné des années d’Occupation.

L’auteur de Place de l’Etoile est partout, dès l’exergue et le titre du premier chapitre (« Dimanches d’août »), tel un fantôme omniprésent et insaisissable, qui attire magnétiquement Jamin dans son propre univers. Faisant s’entrechoquer le Paris d’aujourd’hui et le Paris des années 1940, l’auteur propose une déambulation mélancolique teintée de fantastique, comme un exercice de style dont les nombreuses allusions et clins d’œil modianesques sont à la fois la signature et la limite.

« L’assassinat de Joseph Kessel » de Mikaël Hirsch (Serge Safran, 150 p., 16,90 €)

France, 1927. Joseph Kessel publie Les Cœurs purs, un recueil comportant la nouvelle « Makhno et sa juive », portrait cruel de l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno, décrit comme un psychopathe sanguinaire. Il se trouve que Makhno est alors réfugié en France, et qu’il travaille aux usines Renault de Billancourt. Scandalisé par le texte de Kessel, il se lance à sa poursuite dans Paris pour lui faire la peau. Il le débusque pour finir dans un cabaret enfumé que fréquentent aussi Malraux et Cocteau…

Mikaël Hirsch mélange histoire et fiction dans cet OVNI littéraire envoûtant qui n’est pas une biographie déguisée des deux adversaires mais une sorte de rêverie nocturne, une déambulation littéraire dans un milieu interlope et dangereux où se mêlent d’anciens soldats rouges et blancs, des combattants à la casaque incertaine, des écrivains mythomanes et diverses figures du Paris mondain. Tous les mythes de l’Europe des années 1920 se bousculent, dans une ambiance de film noir. Une réussite.

« Rêver debout » de Lydie Salvayre (Seuil, 200 p., 18 €)

Don Quichotte, héros de la rentrée ? Cervantès n’a pas ressuscité mais Lydie Salvayre a décidé de lui écrire à travers les âges, pour lui dire ce qu’elle pense de son héros – rien que du bien. « Vous l’avez compris, chez Monsieur, je suis terriblement de parti-pris, et j’ai tendance à approuver votre Quichotte, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse. En un mot, je suis fan. »

Quichotte sous sa plume est l’homme idéal, dont nous aurions plus que jamais besoin ; ancré dans la vieille Espagne catholique mais porteur de valeurs éternelles et actuelles – le courage, le goût du défi, l’esprit de justice, le féminisme, le désintéressement, l’insolence face au pouvoir. Convoquant Marx, Freud, Artaud, Debord, Deleuze, la récipiendaire du Goncourt 2014 reproche à Cervantès de réserver trop d’avanies à son personnage, mais elle le remercie de l’avoir créé. Qui sait si le destinataire n’aura pas envie de répondre à l’auteure, dans un roman d’outre-tombe à paraître à la rentrée 2022 ?

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