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QUEER GUEST · Volmir Cordeiro : « Vera Verão était un symbole de joie et de subversion à la télé brésilienne »

  • Timé Zoppé
  • 2024-02-29

On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler des premières images, vues au cinéma ou à la télévision, qui ont fait battre leur petit cœur queer. Aujourd’hui, le chorégraphe, danseur et chercheur Volmir Cordeiro, né en 1987 à Concórdia, au Brésil, qui coanime ce samedi 2 mars la conférence « Déborder sa danse » de la 6e édition de « L’ethnologie va vous surprendre » au musée du Quai Branly – Jacques Chirac.

QUEER GUEST est une série d'articles issue de notre rubrique QUEER GAZE, le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.

« Mon premier souvenir, c’est Vera Verão, incroyable personnage interprété par l’artiste Jorge Lafond (1952-2003). Jorge Lafond présentait son « entité » – comme il aimait appeler Vera Verão – lors d’un programme télé très populaire au Brésil, « A praça é nossa » (« La place est à nous ! ») qui montrait une série de courts numéros comiques tous les samedis soir. Lafond était un homme noir, gay, qui faisait plus de deux mètres. Un symbole de joie et de subversion à la télé brésilienne, très accessible pour le public.

Voir par exemple mon père s’amuser devant Lafond à la télé m’a fait prendre conscience de l’existence d’un racisme et d’une homophobie banalisés. Un personnage fait pour qu’on en rie, mais jamais pour qu’on le considère, pour qu’on écoute ses questions ou ses douleurs.

À l’école, j’étais souvent traité de Vera Verão, manière d’être assigné gay efféminé. Mais, malgré la douleur et la violence des mots, Lafond était pour moi une référence, quelqu’un que j’attendais de voir tous les samedis, comme un réconfort, une force, une autorisation à vivre comme j’étais. Lafond et son entité était pour moi la première rencontre avec une forme d’apparition LGBTQI+ que je pouvais regarder à côté de ma famille, assis sur le canapé chaque semaine.

C’était comme une médiation qui permettait d’ouvrir le débat sur la question queer de manière silencieuse et souterraine. Il était à la télé tout ce que tout le monde aimait regarder ; une figure insolente, drôle, faite pour un grand public, mais que personne ne souhaitait avoir à la maison ou comme membre de la famille.

C’était seulement à la télé qu’une telle apparition était possible, mais jamais proche, jamais dans le réel. C’est ce qui m’a permis de comprendre que la performance, ou l’art tout court, pouvait générer une forte identification et faire basculer ma réalité, m’autoriser à être ce que je voulais. Malgré la « police du regard » exercée par mon père, qui acceptait de regarder Vera Verão à la télé avec moi, mais en s’autorisant à dire à voix haute, pendant l’émission, qu’il tuerait son fils s’il « devenait comme elle ».

Lafond m’a donné le courage d’être moi-même, par son extravagance, son courage à lui, et toute son audace à performer ce qui était interdit ou considéré honteux. Je pense que je crée ma Vera Verão depuis mon enfance, je la construis, je la bâtis dans ma vie et dans mon travail… je fais d’elle une extension, une arme, un poème qui me permet de continuer de confronter les stéréotypes et mener ma lutte intérieure.

Volmir Cordeiro, Outrar (c) Ronan Muller CCN - Ballet de Lorraine

J’ai aussi envie de citer l’importance de Ma vie en Rose, réalisé par Alain Berliner en 1997. Mon premier souvenir du film, c’est la place que la couleur y prend. C’est-à-dire que l’histoire de Ludovic, enfant transgenre de 7 ans, s’est confondue avec un univers de couleurs éclatantes. Je voyais dans les couleurs du film une façon de figurer le grand conflit entre son identité de genre et l’approche de la famille face à l’enfant, à la norme ou à la transgression. J’avais 12 ou 13 ans, un moment de la vie où je ne supportais pas mon corps tel qu’il était, je voulais en sortir, renaître autrement, en espérant un miracle qui allait me faire recommencer moi aussi ma vie en rose.

L’identification subversive que j’avais avec Ludovic m'a donné la force d’accepter ma non-conformité au sein de ma famille, de mon voisinage ou de l’école. Encore une fois, elle rendait possible mon existence, à laquelle je ne voulais pas du tout renoncer. La ville où je suis né et où j’ai vécu jusqu’à 17 ans était pour moi la ville de l’insulte. J’étais tout le temps attaqué dans la rue, partout, en plus d’essayer d’éviter que ma famille soit témoin de ces attaques.

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Les insultes que j’ai commencé à entendre dès 5 ans ont constitué chez moi un certain rapport au langage. En ça, le langage de ce film m’a ému et m’a rendu le monde plus vivable, car il venait contrecarrer le langage-insulte avec de la couleur, de la vie, la possibilité d’un monde en-dehors de cette ville. Être gay ou juste vouloir être autre chose que la norme signifiait être la cible d’une ville, d’une famille, de l’école où l’insulte et la violence étaient les principaux moyens de communiquer, de connecter. Vera Verão, Ma vie en rose ou Billy Elliot [de Stephen Daldry, 2000, ndlr] m’ont montré des manières de présenter l’homosexualité et sa liberté qui ne soient pas étouffantes, et m’ont permis de n’abandonner ni le courage ni le désir d’être ce que je voulais construire pour moi. »

: Conférence « Déborder sa danse », par Volmir Cordeiro, chorégraphe, danseur et enseignant-chercheur, prix SACD Jeune Talent Chorégraphie 2021, et Laura Flety, anthropologue, chercheuse post-doctorante à la Casa de Velázquez EHESS – Mondes américains/ MUSIDANSE (Paris 8)

Samedi 2 mars à 15h30 au musée du Quai Branly – Jacques Chirac

Photo de couverture : Vera Verão

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