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Paul Mescal : « Les relations à deux sont pour moi au centre de notre expérience du drame »

  • Timé Zoppé
  • 2024-02-02

Il est la nouvelle révélation indé. Physique d’apollon, sensibilité démente et jeu magnétique, l’acteur irlandais de 28 ans a déboulé sur les écrans avec deux rôles de taiseux débordant d’amour qui en ont fait instantanément un phénomène sur les réseaux sociaux. D’abord dans la série « Normal People » en 2020, puis dans le film « Aftersun » en 2023 – qui lui a valu une nomination à l’Oscar du meilleur acteur. Dans le bouleversant « Sans jamais nous connaître » d’Andrew Haigh (en salles le 14 février), il vient ravir le cœur du héros (Andrew Scott) – et encore un peu plus le nôtre. Entre deux phases du tournage de « Gladiator 2 » de Ridley Scott, qui devrait finir de le hisser au rang de star, on a foncé à Londres rencontrer notre nouvelle idole pour une interview exclusive.

Dans Sans jamais nous connaître,vous incarnez Harry, le voisin du héros, qui vient le sortir de sa solitude, en nouant une relation très forte avec lui. Étiez-vous familier déjà de l’œuvre d’Andrew Haigh ?

Oui, j’étais un grand fan. Le film qui m’a particulièrement marqué, c’est 45 Ans [2016, sur un couple déstabilisé par une nouvelle inattendue lors de leur quarante-cinquième anniversaire de mariage, ndlr]. À mes yeux, c’est un réalisateur phénoménal, ses personnages et son écriture me touchent beaucoup. À la première lecture du scénario, je me suis dit que Harry était quelqu’un dont on devait prendre soin. Alors que, justement, son job dans le récit est de prendre soin d’Adam [le personnage joué par Andrew Scott, ndlr]. C’est un enjeu dramatique hyper intéressant car il donne beaucoup d’amour alors qu’il n’en a pas reçu tant que ça.

Votre personnage et celui d’Andrew Scott partagent une grande intimité, sexuelle et émotionnelle. Comment avez-vous travaillé ensemble pour arriver à une telle justesse ?

Il y avait quelque chose de mutuel et d’instinctif, qui fait que je ne me suis jamais inquiété de ces scènes. Je crois qu’on n’en a jamais vraiment parlé, on savait que ça allait bien se passer. Et puis, on se connaissait d’avant, on a des amis en commun et on avait fait un genre de sketch comique ensemble [Andrew Scott interprétait son propre personnage de « hot priest » de la série Fleabag, qui recevait la confession de l’ado torturé joué par Paul Mescal dans la série Normal People, ndlr]. C’est quelqu’un d’incroyablement gentil, en plus d’être un acteur d’exception. Il m’avait beaucoup impressionné dans Pride [de Matthew Warchus, 2014, nldr], et évidemment dans la série Fleabag [de Phoebe Waller-Bridge, ndlr].

Pour que ces scènes intimes fonctionnent, il faut être avec une personne de confiance, mais il faut aussi savoir s’extraire des scènes pour que les personnages puissent interagir entre eux. Et puis, pendant le tournage, on s’est beaucoup rapprochés. C’est quelqu’un d’incroyable qui restera très cher à mon cœur.

Y avait-il un poste de coordination d’intimité sur le plateau ?

Oui, on avait une super personne à ce poste. Je crois que c’était le cas sur tous les projets dans lesquels j’ai tourné, notamment sur Normal People et Aftersun. Je sais que le concept est récent, mais ça me semble vital, je ne pourrais pas imaginer faire sans. Mais, au-delà de ça, je pense qu’Andrew Haigh fait partie des meilleurs pour mettre en scène ce genre de scènes très intimes. On est super fiers de ce que ça donne à l’écran.

Andrew Scott et Paul Mescal dans Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh (2024)

Quelle scène du film avez-vous préféré tourner ?

Il y en a plein ! Évidemment, celles qui sont très fun, comme la scène de club sous kétamine. Mais j’aime surtout les scènes les plus dures à faire. Comme ma toute première, quand Harry et Adam se rencontrent. Harry est ivre et sonne à la porte d’Adam. J’étais super content parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas joué quelqu’un d’aussi direct, Harry est très rentre-dedans. Il s’appuie de tout son poids sur le cadre de la porte et se met à flirter à fond avec Adam pour le mettre un peu mal à l’aise. Quand on connaît toute l’histoire, on comprend qu’il y a une autre raison qui le pousse à vouloir entrer dans l’appartement d’Adam, et c’est assez bouleversant. Si on me demandait sur quoi je rêverais de bosser et avec qui, ce serait exactement sur une scène comme celle-là. Et ça paraîtra peut-être un peu tordu aux personnes qui auront vu le film, mais une autre que j’ai beaucoup aimé faire, en tout cas qui a été « un bon moment difficile », c’est la scène de retrouvailles entre Harry et Adam, vers la fin, parce qu’elle est très… rude.

Après un master d’arts dramatiques au Trinity College de Dublin en 2017 et plusieurs rôles au théâtre, vous avez connu une reconnaissance internationale très soudaine en 2020 avec votre premier rôle à l’écran dans la minisérie irlandaise Normal People. Comment l’avez-vous vécue ?

La série est sortie au moment du Covid-19. Aussi terrible qu’ait pu être cette période, ça a été pour moi un mal pour un bien puisque ça m’a évité d’être reconnu dans la rue. J’étais confiné chez moi comme le reste du monde, et ça m’a permis de m’habituer doucement à la notoriété tout en gardant une certaine stabilité. Donc c’était à la fois abrupt et très graduel, j’ai eu beaucoup de chance. C’est sûr que ça peut être écrasant par moments, mais, de manière générale, je suis heureux de pouvoir faire le job de mes rêves avec des cinéastes et des acteurs et actrices que j’admire profondément.

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Vous avez déclaré au Harper’s Bazaarque vous seriez fier toute votre vie d’avoir fait cette série, qui montre avec beaucoup de subtilité la relation houleuse entre deux jeunes gens complexes qui se rencontrent au lycée et commencent par se voir à l’abri des regards. Pourquoi ?

Je trouve qu’on a fait un très bon travail, dans tous les domaines : écriture, mise en scène, jeu… Ça m’a permis de rencontrer une de mes meilleures amies au monde [Daisy Edgar-Jones, qui joue sa petite amie dans la série, ndlr]. Ça a changé nos vies.

Paul Mescal et Daisy Edgar-Jones dans Normal People (c) Hulu

Votre père était instituteur et acteur semi­professionnel en Irlande. Quels films vous a-t-il montrés, enfant ?

Avec mon père, on regardait surtout des Laurel et Hardy à la maison. Le cinéma ne m’intéressait pas trop quand j’étais gamin. Je préférais le sport, du coup je ne passais pas beaucoup de temps à l’intérieur [sa mère était policière et il a grandi dans la petite ville universitaire de Maynooth, à une vingtaine de kilomètres de Dublin, ndlr]. Mais j’aimais bien aller au cinéma, le rituel du pop-corn ou des Maltesers, s’asseoir dans une pièce obscure pour mater Le Seigneur des anneaux… Je me souviens avoir été très fan de l’expérience de la salle en grandissant.

« J’ai passé des années à rattraper des classiques, mort de peur de me faire démasquer »

Quand avez-vous commencé à regarder des films par vous-même ?

Quand j’étudiais le théâtre [au Trinity College de Dublin, ndlr]. Au début, je prétendais avoir vu plein de trucs alors que ce n’était clairement pas le cas. Ça m’arrive encore. D’ailleurs, c’est criminel, mais je dois l’avouer : j’ai vu 2001 : l’odyssée de l’espace [de Stanley Kubrick, 1968, ndlr] pour la première fois il y a seulement trois semaines… C’était en copie 70 mm au cinéma Prince Charles, à Londres [où Paul Mescal habite en ce moment, ndlr], un endroit incroyable. Donc j’ai passé toutes mes années à la fac à rattraper des classiques de cinéma et de théâtre, mort de peur de me faire démasquer.

La plupart du temps, vous incarnez des hommes charmants, doux et sensibles. À une exception près : dans God’s Creatures d’Anna Rose Holmer et Saela Davis (sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de 2022 et diffusé en France l’année suivante sur OCS), vous jouez un jeune pêcheur, Brian, qui commet un viol. C’est intéressant d’explorer aussi le côté obscur de l’âme humaine ?

Tous mes personnages sont complexes. C’est vrai que Harry est charmant et attentionné, mais il est aussi incroyablement sombre. C’est quelqu’un qui se déteste, qui cache sa douleur et essaye de se convaincre, et les autres avec lui, qu’il n’est pas comme Brian. Avec God’s Creatures, je ne cherchais pas à surprendre le public, mais plutôt moi-même. Cela dit, ça ne suffit pas pour accepter un rôle. Si j’aime l’histoire, le ou la cinéaste, les interprètes, je suis heureux de jouer à peu près n’importe quoi. J’ai aussi joué récemment au théâtre Stanley Kowalski dans Un tramway nommé désir [pièce de Tennessee Williams de 1947, adaptée au cinéma par Elia Kazan en 1952 ; Paul Mescal a joué la pièce en 2022 à l’Almeida Theatre de Londres, ndlr], c’est un autre exemple de personnage sombre. Mais, à nouveau, ce n’est pas ma seule boussole. Si un acteur ne se focalise que sur une chose, ça donne une performance désincarnée. Je fais tout mon possible pour éviter ça.

Andrew Scott et Paul Mescal dans Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh (2024)

Quels acteurs et actrices admirez-vous ?

Anthony Hopkins reste une de mes plus grandes références. S’il entrait dans la pièce, là, je me décomposerais. Michelle Williams fait aussi partie de mes idoles. Je l’ai croiser à quelques reprises l’année dernière, j’ai failli mourir. J’aime aussi beaucoup Marlon Brando au début de sa carrière, certaines de ses performances ont changé la face du cinéma. Et j’ai discuté avec Natalie Portman l’autre jour, je la trouve extraordinaire. Avoir été une enfant-actrice et avoir poursuivi sa carrière avec de telles performances, comme dans May December [de Todd Haynes, sorti fin janvier, ndlr], c’est fou.

L’autre temps fort de votre carrière a été le film Aftersun, sorti en 2023. Vous y jouez Calum, un jeune père en vacances avec sa fille ado, qui se trouve dans un état indéfini, une forme de dépression. Comment avez-vous travaillé avec la réalisatrice Charlotte Wells pour atteindre cette performance trouble, cet état flottant ?

Il y a des similitudes entre le personnage de Calum dans Aftersun et celui de Harry dans Sans jamais nous connaître. Charlotte est un génie. Au début de notre travail ensemble, je me souviens lui avoir dit que je préférais ne pas diagnostiquer l’état de Calum, parler de dépression, parce que, même si c’était ce que je sentais, lui-même n’avait pas les mots pour le définir. Il se trouve dans un état de confusion, il navigue là-dedans, il n’arrive pas à être heureux alors qu’il est en vacances avec l’une des personnes qu’il aime le plus au monde. Je pense que, dans notre contexte actuel, ça nous apparaît plus clairement. Mais c’est un homme d’une certaine génération qui n’a pas forcément accès aux ressources des hommes d’aujourd’hui [le récit d’Aftersun se déroule dans les années 2000, ndlr].

Heureusement, on avance vers un monde où les hommes sont plus à l’aise avec le fait de parler de leurs sentiments. Ça peut aussi servir d’avertissement : c’est ce qui menace quand la société, en particulier les hommes qui la composent, cadenasse ses émotions. De la même manière, le parcours de Harry dans Sans jamais nous connaître peut servir d’avertissement aux parents qui marginalisent leur enfant en raison de sa sexualité, ou pour une autre raison – même si ce n’est qu’en lui manquant d’attention. Pour en revenir à Calum, Charlotte m’a dirigé avec une grande clarté et une forme de bienveillance, d’attention. Travailler avec elle, c’est un peu comme naviguer dans un rêve, on se sent pris en charge. Je suis très fier de pouvoir la considérer comme mon amie, je sais qu’elle va devenir – et qu’elle est déjà – une immense artiste.

« Aftersun » de Charlotte Wells : hier encore

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Frankie Corio et Paul Mescal dans Aftersun de Charlotte Wells (2023)

Tous vos personnages ont une grande présence physique alors qu’ils ne parlent pas beaucoup… Est-ce que votre passé de footballeur gaélique vous aide dans le travail sur le corps ?

Hum, je ne sais pas, ça me semble très différent ! Je pense que ça a plutôt à voir avec le genre de personnages qui m’attirent. Quand un personnage parle trop, il me semble moins intéressant. Je suis attiré par les personnages qui permettent au public de projeter des impressions, des sensations. D’ailleurs, c’est aussi ce qui se passe avec les gens dans la vraie vie : plus ils parlent, moins ils m’intéressent… J’imagine que mon goût en matière de personnes se reflète sur mes choix de rôles.

Vous avez des techniques pour jouer, comme utiliser vos propres souvenirs ?

Non, j’essaye de ne jamais tomber là-­dedans ! Je pense que ça se fait naturellement à partir de notre histoire personnelle, pas besoin de forcer. Après, ça dépend des personnes. Andrew Scott en a magnifiquement parlé. Pour jouer, il essaye d’incarner et de réagir de manière aussi proche que possible de son personnage. C’est très artisanal. De mon côté, il s’agit plus de cerner les similarités et de me concentrer ensuite sur les différences pour essayer des choses et aller vers l’inatteignable. Je cherche toujours les différences que j’ai avec les autres, en l’occurrence ici mes personnages.

« Je n’arrive pas à m’identifier à quelqu’un qui vole avec une cape. »

Vous semblez aller naturellement vers des récits où une relation à deux, de couple ou parent/enfant, est mise à l’épreuve. Qu’est-ce qui vous attire là-dedans ?

Pourquoi j’aime ça ? Parce que je suis ravagé ! (Il éclate de rire.) Les relations à deux sont pour moi au centre de notre expérience du drame. Je n’arrive pas à m’identifier à quelqu’un qui vole avec une cape. Alors que, quand je vois un drame autour de la relation parent/enfant, ou d’un jeune couple qui s’embarque pour la première fois dans l’aventure amoureuse, je peux totalement m’identifier, trouver des points de jonction. Ça m’intéressera toujours.

Andrew Scott et Paul Mescal dans Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh (2024)

Vous tournez en ce moment, entre le Maroc, le Royaume-Uni et Malte, Gladiator 2 de Ridley Scott, dans lequel vous jouez le premier rôle, celui de Lucius, le neveu de l’empereur Commode du premier volet sorti en 2000. Comment se passe le tournage ?

On va bientôt s’y remettre ! [Le tournage a été interrompu par la grève des acteurs en juillet 2023 et a repris le 7 décembre à Malte, deux semaines après cette interview, ndlr]. Si tout roule, ça sera bientôt fini. J’aime absolument tout de ce tournage. Ça a l’air d’une réponse ennuyeuse, mais c’est une expérience tellement nouvelle pour moi ! Ridley Scott est un génie, c’est une joie pure.

Entre ça et votre nomination à l’Oscar du meilleur acteur pour Aftersun, quels rêves de cinéma vous reste-t-il ?

J’ai envie de continuer de travailler avec des cinéastes que j’admire. J’aimerais beaucoup retravailler avec certains pour tisser des collaborations artistiques riches, j’ai l’impression que c’est aussi comme ça qu’on devient un grand acteur. C’est un rêve qui paraît modeste, mais j’y tiens beaucoup pour les cinq ou six prochaines années.

Et avec quelles nouvelles personnes aimeriez­-vous collaborer ?

J’adorerais travailler avec Martin Scorsese – comme Ridley Scott, il est au-delà de ma bucket list [liste des choses à faire avant de mourir, ndlr]. Je rêve aussi de travailler avec Andrea Arnold et Lynne Ramsay. Et avec Bong Joon-ho, ça serait dingue…

Vous aimeriez passer à la réalisation ?

Non, en tout cas pas pour le moment. J’ai encore trop à faire côté acting avant de m’essayer à ça. Sans garantie que je sois bon un jour… Je pense qu’il y a une règle selon laquelle il faut dix mille heures de pratique avant d’être vraiment bon à quelque chose. Je ne suis pas sûr d’en avoir fait mille. Impossible de m’imaginer diriger quelqu’un d’autre pour l’instant. Je ne saurais pas par où commencer. Je suis au début de mon apprentissage du jeu et je veux creuser ça dans les temps qui viennent, c’est certain.

Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh, Walt Disney (1 h 45), sortie le 14 février

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