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Lili Hinstin : « Il s’agit de donner une place, une voix, un regard aux jeunes »

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-07-03

L’ancienne directrice artistique du Festival de Locarno est aujourd’hui directrice de la programmation du Festival international de Biarritz Nouvelles Vagues, dont la première édition, placée sous le signe de la jeunesse fiévreuse et de la curiosité, s’est achevée ce dimanche 2 juillet. Un événement qui a notamment couronné « A Song Sung Blue » de Zihan Geng (Grand Prix) et « How To Have Sex » de Molly Manning Walker (Prix du Jury). On a rencontré cette cinéphile boulimique et généreuse, pour qu’elle nous introduise dans les coulisses d’une sélection rafraîchissante.

D’où vient votre amour du cinéma ?  

J’ai grandi dans un milieu parisien assez cultivé, je suis allée au cinéma très petite. Grandir dans une ville où toute l’histoire du cinéma existe et vit sur grand écran, c’est très rare. Puis, quand j’étais en terminale, notre prof de philo nous a fait faire un projet autour du centenaire du cinéma. En partenariat avec la Cinémathèque française, on a vu et fait beaucoup de films. La moitié de ma classe aujourd’hui travaille dans le cinéma ! Raison pour laquelle je crois profondément à la force de l’éducation par l’image, aux rencontres qui peuvent aller au-delà des classes sociales et des parcours fléchés. Ma formation est vraiment une formation de salles de cinéma, avec cette chance unique de pouvoir voir Bergman, Pasolini, Fassbinder, Fritz Lang et Hitchcock sur grand écran. 

Il y un premier souvenir, une première fois qui vous a marqué ?  

Vers 13 ans, un film que j’ai vu en salles, et où je me suis dit : « D’accord, le cinéma peut avoir cette force émotionnelle. » C’était Mean Street de Martin Scorsese (1973). Je l’ai revu récemment. C’est une histoire de jeunesse si puissante, sur quelqu’un qui se trompe – et c’était sans doute la première fois que je voyais quelqu’un mourir au cinéma. Quand on est enfant, la mort est un des chocs philosophiques les plus importants.  

Vous avez été programmatrice et directrice adjointe du Festival international Cinéma du Réel, puis déléguée générale du Festival Entrevues à Belfort pendant 6 ans, et directrice artistique du Festival de Locarno. Comment devient-on programmatrice de festival ? 

Comme tous les gens très cinéphiles, j’ai d’abord voulu faire des films. A 23 ans, j’ai monté une boîte de production avec mes amis. C’est un parcours très classique : on se dit qu’on veut réaliser, ou produire, ou plus rarement faire chef opérateur. On pense très peu aux autres métiers du cinéma. Et en dernier lieu à faire de la programmation. Personne ne sait que c’est un métier – c’est une profession de cinéphile, paradoxalement très déconnectée de la cinéphilie. J’y suis donc arrivée par hasard. Je ne gagnais pas du tout ma vie avec ma boîte de production, alors je faisais du sous-titrage. J’ai fini par sous-titrer un film pour la Villa Médicis à Rome [elle fait depuis 2021 partie du comité de sélection de ce festival, ndlr], et de fil en aiguille ils m’ont proposé de m’occuper de la salle de cinéma de la Villa. C’est là que j’ai découvert ce métier. En rentrant en France, j’ai découvert un autre monde, celui des festivals.  

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Votre société de production s’appelait Les Films du Saut du Tigre, un nom qui a une connotation révolutionnaire. Vous avez toujours été attirée par la radicalité ? 

Il n’y a pas beaucoup de gens qui connaissent ce nom ! C’est une référence à Walter Benjamin et à son expression « Le saut du tigre dans le passé », dont il se sert pour qualifier le bouleversement révolutionnaire inspiré du marxisme. A l’époque, peu l’ont compris : on a reçu plein de scénarios de kung-fu [rires]. Mais effectivement, nous étions très politisés – j’espère l’être encore. La façon dont j’ai créé ce comité de sélection correspond à un désir d’être politique à l’endroit où l’on est, dans la sphère de pouvoir que l’on a. Par exemple, il m’arrive d’aller en festival et de voir des films que j’estime misogynes - en général de façon inconsciente. C’est un choix politique. Aussi beau qu’il soit, je ne sélectionnerai jamais un film qui a un fond sexiste. Après, ce positionnement politique, il se joue aussi dans le regard de celui qui regarde.  

Dans les thèmes et les points de vue choisis, les genres abordés, qu’est-ce qui ressort de saillant, sur le fond comme sur la forme, dans la compétition ? 

En général, quand on fait une programmation, on créé un ensemble de films, et en prenant du recul, on aperçoit un fil rouge inattendu, inconscient, qui se dégage. Comme quelque chose d’une émanation de l’air du temps, qu’on a confusément perçu et qui se retrouve dans les choix qu’on a fait. Ici, c’est presque le contraire. Comme le fil rouge – la jeunesse - est déjà posé, très fort, il créé une espèce de colonne vertébrale de la programmation. A partir de là, il génère un kaléidoscope de variations autour de cette matrice solide. Comment ce thème varie, prend des directions infiniment différentes ? Voilà ce qui devient intéressant à observer dans ce spectre cohérent.  

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Justement, de qui est composé votre comité de sélection ? 

Comme c’est un festival sur la jeunesse, j’ai engagé de jeunes programmateurs. Je cherchais quelqu’un de 20 ans, que je pourrais former, à qui je pourrais introduire le métier - pour qu’il poursuive dans cette voie ou pas -, et qui n’appartenait pas à l’intelligentsia parisienne. Je l’ai trouvé en la personne d’Emmanuel Mayemba, un jeune étudiant brillant de 22 ans. Nous travaillons tous les deux avec Eduardo Carretié, un jeune cinéaste biarro-franco-espagnol, qui a une trentaine d’années, car je voulais quelqu’un qui soit originaire de la région. Je crois beaucoup à la question du point de vue : qui on est, d’où on vient, a un impact essentiel, au sens premier de l’essence, sur notre regard. Ce comité est transgénérationnel : personne ne vient du même milieu social, n’a les mêmes origines culturelles, et on travaille très bien ensemble.  

La programmation oscille entre des films très pointus (Jeunesse de Wang Bing) et plus accessibles (Une année difficileLe Théorème de Marguerite). C’est une volonté ?  

A part sa durée longue, Jeunesse de Wang Bing me semble assez accessible par rapport à d’autres choses faites par ce réalisateur. Sa forme, son montage sont très limpides. Sinon, c’est vrai que j’aime travailler en créant des passerelles. Mon rêve de programmatrice, ce serait que les spectateurs d’Olivier Nakache et Éric Toledano [qui présentent en avant-première leur nouveau film, Une année difficile, avec Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Noémie Merlant et Mathieu Amalric, ndlr] aillent voir Jeunesse de Wang Bing, qu’ils reçoivent cette puissance documentaire, cette description de notre monde contemporain. Et que réciproquement, les spectateurs de Jeunesse apprécient la qualité d’écriture, de structure, de la comédie de Nakache et Toledano. Que chaque cinéphilie soit satisfaite, pleine, qu’elle se remplisse. Tous ces films ont un intérêt cinématographique, seulement il n’est pas toujours au même endroit, il se décline. Pour certains cinéastes, la mise en scène est un endroit de dispositif, pour d’autres c’est un endroit plastique qui concerne le cadre, l’image, pour d’autres c’est un rapport intense et délicat au casting, aux comédiens. Pour d’autres, souvent dans les comédies, c’est une écriture au cordeau, une mécanique de dialogues imparable.  

Une Année difficile d’Olivier Nakache et Éric Toledano (c) Carole Bethuel

Il est rare de donner la voix aux étudiants en permettant de diffuser des films de leur choix. C’est une spécificité que vous comptez garder ?  

J’adore cette section, qui s’appelle « Les étudiants vous parlent ». Vous trouvez que ça fait un peu vieux ? Ça fait tract de Mai 68 je trouve, slogan. Je visualise une affiche de Mai 68 quand je l’entends. Le principe du festival, ce n’est pas d’exposer le regard d’une génération plus ancienne sur la jeunesse, avec une tonalité élogieuse. Il s’agit de donner une place, une voix, un regard aux jeunes. Travailler avec les étudiants, c’est une façon presque structurelle de compter avec les générations futures. Cette année, on a une étudiante de Dakar, une de New-York, un de Séoul… 

Que dit cette section de la jeunesse contemporaine, de ses espoirs et angoisses ?  

A l’international, ce sont des choix très politisés qui montrent une jeunesse engagée dans son époque. Pour la plupart, ce sont des films de patrimoine [Merci la vie, La petite vendeuse de soleil, The Watermelon Woman, mais aussi le plus récent Adolescentes, ndlr] mais qui s’emparent de questions sociétales urgentes. C’est une jeunesse opprimée par des conventions, des règles, des structures sociales. Ce sont aussi des films très bruts, directs, qui n’empruntent pas de métaphores pour décrire l’état de leur pays.  

Vous, quels ont été les films formateurs de votre jeunesse, ceux qui ont construit votre éveil politique ?  

Boyz n the Hood de John Singleton [l’histoire du passage à l'âge adulte de trois amis du ghetto de South Central à Los Angeles, ndlr], qui m’a sensibilisée à la révolte de rue. Tous les films de Jean-Luc Godard. J’ai beaucoup regardé Pierrot le fou petite, je ne sais pas pourquoi, ce film m’a suivie. Plus tard, j’ai découvert la radicalité Jean-Marie Straub, vers 23 ans.  

C’est un festival pensé et fait par des jeunes, mais qui ne va pas forcément être vu que par des jeunes. Comment fait-on pour parler à toutes les générations ?  

Je ne sais pas ! Ce n’est pas programmé dans cette intention-là. Je suis incapable de dire qui va voir quoi, et c’est mieux ainsi. J’espère que les salles seront mélangées. Ce que j’aime, c’est quand les gens ne ressemblent pas à ce qu’ils ont l’air d’être. Je souhaite donc que notre public est constitué de spectateurs qui tromperont toute prédiction ou intention.  

Comment programme-t-on et sélectionne-t-on ?

Il faut aimer voir beaucoup de films, c’est sûr. J’ai déjà engagé en tant que programmateurs des critiques dont j’adorais les textes et la pensée, qui n’ont pas du tout aimé l’exercice de voir 400 films en 3 mois, pour en retenir seulement un ou deux, voire zéro. Peut-être que lorsqu’on est critique, on aime prendre le temps, analyser, décortiquer un objet qui a déjà là. Il y a des gens que ça atteint vraiment, de voir autant de films, pour qui c’est une souffrance. Je connais d’autres programmateurs qui m’impressionnent. Leur curiosité ne s’émousse jamais – et c’est incroyable, parce que c’est un métier qui requiert de voir mille films par an pendant des années. C’est fou. Pour moi, il est nécessaire d’être très cinéphile. Je vois mal comment on peut comprendre la contemporanéité d’un œuvre sans connaître l’histoire de son art. Il faut être conscient que le cinéma a un passé : pour comprendre la nouveauté d’un geste, il faut connaître l’histoire de l’art auquel il appartient. Sinon, on est comme un peintre qui n’aurait jamais regardé Cézanne.  

Nous avons tous et toutes des cinéphilies incomplètes. Je fais ce métier depuis presque 20 ans, et je suis effarée du nombre de films importants – je n’ose pas vous dire lesquels – que je n’ai pas vu. Et en même temps, j’en vois un nombre insensé ! C’est très bien ainsi : je me considère en perpétuelle formation, dans un équilibre entre films de patrimoine et actualité.  

Un mot ou deux pour qualifier cette première édition ? 

Eclectique et généreuse.  

Portrait Gaëtan Bernard

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