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« Le Kiosque » : journal d'une disparition

  • Joséphine Leroy
  • 2021-10-04

Pendant six ans, Alexandra Pianelli a filmé la vie puis la fermeture définitive du kiosque à journaux tenu par sa famille à Paris depuis quatre générations. Elle en a tiré ce premier long – un docu ludique, tendre et sans fioriture qui en dit beaucoup sur notre époque.

Ils font partie du décor au point qu’on n’envisage même plus de s’y arrêter. C’est qu’on oublie que les kiosques à journaux ont toujours été, plus qu’un simple point de vente, de grands vecteurs de lien social. Alexandra Pianelli le rappelle à travers ce documentaire tourné pendant six ans dans le très cossu XVIe arrondissement de Paris et filmé avec des téléphones et une GoPro. Dans l’espace réduit du kiosque familial, le coup de main qu’elle donne à sa mère se mue en job à plein temps, avec son lot de stress, ses piles de journaux qui s’amoncellent, ses livraisons à gérer, ses pubs JCDecaux à placer, mais surtout ses précieux contacts avec les clients – des habitués.

Le kiosque apparaît alors comme le lieu qui rend possible un brassage social trop rare. On y croise Damien, un SDF d’une extrême gentillesse qui carbure à l’humour – sa grande idée pour susciter la générosité des passants : tendre une poêle avec une pancarte sur laquelle il a écrit « Je suis à poêle ». Il y a aussi Christiane, une retraitée toute pomponnée qui adore faire un brin de causette, entre deux lectures de magazines people. Mariouch, lui, apporte régulièrement des gâteaux (et a du mal à dissimuler son envie de flirter avec Alexandra). Sans oublier Islam, un vendeur de fruits à la sauvette d’origine bangladaise qui joue au chat et à la souris avec la police. Comme Alain Cavalier, à qui elle dédie d’ailleurs son film, Pianelli croit en la puissance du cinéma direct, au pouvoir de la caméra enregistreuse et à l’intérêt de filmer la répétition. C’est sûrement ce moteur qui lui permet de radiographier avec autant d’acuité la société. Derrière ce rituel du passage régulier au kiosque, c’est toute la solitude de ces personnages citadins qui transparaît.

Et derrière leurs habitudes de consommation, c’est toutes les évolutions sociales qui se dessinent en creux. Pianelli chronique ainsi sans en avoir l’air la montée de l’extrémisme en France : dans la dernière partie du film, elle se rend compte que les publications d’extrême droite se vendent bien plus qu’avant, et qu’elles ont atteint de nouveaux publics. Parallèlement, elle recontextualise les conditions économiques qui poussent sa famille à mettre la clef sous la porte (pour raconter l’histoire de la presse en France et l’influence de la digitalisation, elle file l’idée d’« artisanalité » jusqu’au bout en bricolant de petites maquettes en carton). Elle-même enfant d’Internet, elle évite toutefois l’écueil bien connu du « c’était mieux avant ». Récit vivant d’une disparition, son documentaire n’en est que plus émouvant.

TROIS QUESTIONS À ALEXANDRA PIANELLI

Comment vous est venue l’idée de filmer le kiosque familial ?

Par accident. Je sortais de mes études, j’avais besoin d’un job alimentaire pour payer mon loyer et j’ai proposé à ma mère de l’aider. Une fois derrière la caisse, j’ai réalisé que je prenais la place de mes arrière-grands-parents, de mes grands-parents et de mes parents. Je me suis dit que c’était l’occasion de rendre hommage à un métier dont tout le monde se moque un peu, surtout notre génération. C’est devenu un défi.

Comment vous êtes-vous adaptée à ce tournage dans ce kiosque minuscule ?

Par le fait même que cet endroit était petit, le cadre, le point de vue du film étaient tout trouvés. Il n’y avait pas la place pour un chef op ou un preneur de son. Le téléphone est devenu un personnage en lui-même. Je me disais qu’il y avait du sens à parler de la crise du papier avec cet outil, qui évolue dans le film. Et puis filmer au téléphone, ça permettait aussi de ne pas effrayer les clients.

La violence sociale est de plus en plus présente à mesure que le film avance.

Oui, on sent de plus en plus le poids de la crise économique, la démocratisation des smartphones, l’augmentation des ventes de journaux d’extrême droite… Le ton devient plus grinçant parce qu’il y a une grande désillusion. C’est ce que j’ai essayé de souligner sans trop perdre d’humour ni oublier l’humanité des gens, qui reste présente.

Le Kiosque d’Alexandra Pianelli, Les Alchimistes (1 h 16), sortie le 6 octobre

Image : Copyright Les Alchimistes

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