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Laura Thomassaint et Nans Laborde-Jourdaà : « C’est plus facile de fuguer ensemble. »

  • Quentin Grosset
  • 2023-09-06

Nans Laborde-Jourdaà a reçu la Queer Palm pour son court « Boléro », folle cérémonie dansée dans des toilettes de supermarché. Laura Thomassaint, elle, écrit « Faire ça la nuit sur le parking de l’usine », une histoire de deuil et de cruising lesbien attendue comme un bouleversement. Cet été, les deux amis sont partis à L.A. pour avancer sur les scénarios de leurs premiers longs...

Cet article fait partie du dossier « C’était mieux après », publié dans le °200 de TROISCOULEURS. Retrouvez tous les autres articles ici.

Pourquoi avoir choisi Los Angeles pour écrire vos deux premiers longs ?

Nans Laborde-Jourdàa : Il y a six ans, j’y avais rejoint mon copain de l’époque, qui était danseur là-bas. C’est un endroit où je n’avais aucune envie d’aller. Mais il y a quelque chose ici qui m’a totalement happé, dans le rythme, l’architecture. Il y a un décalage horaire avec la France, donc j’étais coupé de tout ce qui pouvait m’engluer. J’avais l’impression d’être un enfant qui pouvait faire tout ce qu’il voulait en cachette. Je cherchais un endroit pour écrire, et j’ai repensé à Los Angeles. Une amie m’a proposé de m’héberger et Laura est arrivée. Je trouvais ça trop joyeux d’être côte à côte pour écrire.

Laura Thomassaint : Je suis partie à Los Angeles dans l’idée de dîner avec Jodie Foster – ce qui ne s’est pas produit. Je n’y étais jamais allée. Pour moi, c’était partir le plus loin possible. Il y a un tel décalage de culture, aussi avec le film que j’écris qui est totalement différent de cet endroit. C’est un voyage qui n’est pas rien à organiser, financièrement. Il y avait une grande joie dans le fait de se le permettre, de rejoindre mon ami qui me le propose.

N : Ni toi ni moi n’avons ce goût des films hollywoodiens. Moi je continue à écrire des films pyrénéens, toi qui se déroulent dans la nature. Mais c’est fou comme ce voyage à L.A. infuse quand même.

L : Ça fait effraction, et c’est génial. Avec Nans, on s’éloignait de la ville et, d’un coup, on se retrouvait dans des endroits qui nous ressemblaient plus. Ce sentiment puissant que ce paysage procure, c’est parce qu’avant il y a la ville, sa dureté, sa grandeur qui fait que tout est un peu laborieux.

Vous avez fait des rencontres importantes pendant ce voyage ?

L : On a passé pas mal de temps en voiture, à rouler. La rencontre, elle a surtout eu lieu entre toi et moi non ? On s’attendait à rencontrer plus de monde, et en même temps ça nous a permis un temps partagé qu’on n’avait jamais eu. Ça m’a fait me dire que ton amitié est celle qui donne le plus de courage, d’envie, qui me fait le plus rêver. On était tous les deux sans nos amours, nos amants. On était loin de ça et en même temps complètement à fond dedans. On parlait d’amour absolu, de nos parents, de notre enfance, de comment on a été aimés. C’était comme un No sex last night, le road movie de Sophie Calle.

N : Les échelles sont complètement faussées : tu as l’impression que tu vas rouler deux heures mais tu en roules huit. Ce voyage, ça a aussi été un échec de plein de fantasmes, par exemple autour de l’écriture. J’avais envie que ce voyage soit comme des vacances, mais qu’il reste aussi hyper productif. J’imaginais écrire un chapitre par jour, je m’étais fait un petit planning. Grâce à Laura, j’ai pu me détendre par rapport à ça. On écrit toujours, mais pas à l’endroit qu’on imagine.

L : Avec Nans, on n’en est pas au même endroit de l’avancement dans notre scénario. Je suis partie avec une première version à finir plutôt qu’un début à mettre en mouvement. Je partais aussi avec cette idée d’efficacité. Finalement, on ne trouve jamais ce qu’on cherche. Mais c’est une façon de faire de la place à ce qui est vraiment essentiel.

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Comment c’est, d’écrire côte à côte ?

L : On a fait tout un trajet de voiture où Nans tu me parlais du début de ton film. On soulevait des tapis, des problèmes, des possibles. Je ne donne aucune bonne réponse mais par ricochet Nans se dirige où il veut, et inversement. Ça passe beaucoup par la parole, peut-être parce qu’on vient du théâtre, on est habitués à un truc collectif, d’écriture de plateau.

N : C’est la base de mon cinéma, le collectif. C’est là où c’est compliqué pour moi l’écriture, cette solitude-là. Là, les idées n’existaient que parce que je les racontais à Laura dans cette voiture, dans le fait de les verbaliser, de les oraliser. Quand j’écris, c’est pour quelqu’un. C’est comme une photo sur Instagram et qu’on attend qu’elle soit likée par une seule personne.

L : On a envie d’être aimés, quoi, c’est tout.

Que pouvez-vous me dire de vos deux premiers longs métrages ?

: Je suis en train de signer avec une production, Blue Monday. Je n’ai jamais eu aussi peur, mais j’ai besoin de cette peur, jusque-là elle a été un très grand moteur. Ces derniers jours, j’ai vu pas mal de films, Travolta et moi de Patricia Mazuy et La Bête dans la jungle de Patric Chiha. Ces deux films formulent des idées toutes simples de cinéma, et tout a lieu. Il y a un truc d’échelle, d’humilité. J’en suis là de mon film, de revenir à l’idée première. Celle d’une femme qui en aime une autre, qui va mourir. Celle qui va mourir demande à sa femme de ne pas l’accompagner. Alors elle se console dans la chair, le désir, dans un ailleurs, l’amitié, autre chose. Un truc que je n’ai pas trouvé encore, et que je cherche.

N : Moi c’est un film fragmenté, avec plusieurs histoires qui se superposent et ne s’enchevêtrent pas du tout, autour du fanatisme amoureux. C’est un pari de faire cohabiter ces espaces, d’y faire naître une tension dramatique. Je cherche un objet hybride.

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Y-a-t-il déjà quelque chose de votre relation qui transparaît dans ce que vous avez écrit ?

L : Dans mon film, une femme arrive dans un endroit qu’elle ne connaît et se lie très fort à des gens qui deviennent un refuge dans un moment compliqué pour elle. Ça me tient beaucoup en ce moment, l’épaisseur de ces liens-là. J’ai un lien compliqué à ma famille, et je me rends compte qu’autour de moi j’ai fondé des amitiés denses, très belles, inépuisables. Je crois que j’ai aussi envie de raconter ça au-delà du geste amoureux. Mon amitié à Nans va vers là. Il y a une liberté dans ton cinéma, qui me donne envie d’en avoir une à moi, de m’y autoriser. Tes films me donnent du courage. La vie de Boléro, ces 15 minutes qui offrent un tel éclair, un tel soulagement, ça me donne envie d’y aller, de laisser la trouille de côté.

N : Pour moi aussi tu as été le moteur de plein de choses. Pour mon premier court Léo la nuit, notre relation transpire partout. Le film n’aurait pas été le même, si tu n’y avais pas insufflé cette énergie, ça m’a permis de me rapprocher de moi.

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Comment vous vous êtes rencontrés au départ ?

L : J’avais 21 ans quand on s’est rencontrés, j’en ai 30 aujourd’hui. C’était à la fête d’anniversaire d’une personne en commun. À ce moment-là, je ne connaissais personne ici, j’étais une lesbienne depuis longtemps, mon entourage était déjà plutôt queer. Nans était dans une bande, et je me suis dit : « C’est marrant, ce garçon ne ressemble pas à cette bande. » Ils étaient tous plutôt hétéros. On a mis du temps à se retrouver.

N : Pour moi, il y a eu un café déterminant à Marseille – c’est un des lieux de mon prochain film ! Tout à coup je me suis senti moins seul, je me suis dit que j’avais rencontré quelqu’un. On a parlé de cinéma, c’est ça qui nous a rapproché.

L : On était un peu les vilains petits canards. On s’affranchissait de quelque chose qui ne voulait pas totalement de nous tels qu’on l’était, pour trouver plus de liberté. J’avais l’impression que c’était le cinéma qui pouvait me le proposer, chez toi c’était sous-jacent aussi.

N : Je suis parti de ce café en me disant que si je faisais du cinéma, ce serait avec Laura. J’avais cette volonté au fond de faire des films, mais je me sentais illégitime.

L : Comme on est illégitimes tous les deux, c’est plus facile de fuguer ensemble.

Vos films parlent de se construire dans le deuil, l’absence. Ça vous a beaucoup rapproché ?

L : Dans la voiture, on ne parlait que de ce qui nous a manqué, de ce qui est en creux, en manque. Je me suis dit qu’on devrait réaliser un film sur deux Français partis chercher ce qui leur a manqué à Los Angeles. Je voyais ma mère partout dans la ville, parce qu’elle s’appelle Angeles. Mes yeux s’arrêtaient souvent sur le mot « Mother ». Ma mère est pourtant là, mais je l’ai quand même cherchée, quelque chose m’a manqué. Je pense que je suis sensible à ça, qu’on peut s’en parler simplement, alors que ce n’est pas le cas avec tout le monde.

N : Ce que j’ai envie d’écrire, ce ne sont que des histoires de fantômes. Ce n’est pas essayer de les faire revivre, mais recréer des possibilités de vie, faire parler ce qui n’a pas existé.

L : On n’a pas la même façon d’exprimer ça, mais le lien entre nos films c’est que ceux qui ne sont plus là parlent.

Comment vous avez grandi avec l’hétéronormativité ambiante ?

L : Moi, je n’ai jamais fait avec. Au collège, j’ai grandi comme tout autre jeune fille avec des schémas à suivre. Quand je suis avec mon désir qui est là, quand j’aime les filles, j’ai 15 ans, c’est tôt dans une vie. J’avale The L Word, les cinq saisons, en deux semaines et demie, et je décide que je ne me cache plus jamais, que je ne ferai pas semblant. Je disais partout que j’aimais les filles. L’hétéronormativité aurait pu m’imposer ce cadre, mais ça n’a pas été mon histoire. Je pense que c’est parce que je me suis extirpée de mon milieu. C’était aussi un moyen de devenir vite qui je dois être, qui je veux être. J’avais pas le temps.

N : Pour moi, c’est tout l’inverse, ça a été beaucoup plus long, plus schizophrénique aussi. J’ai eu très tôt la conscience d’être homo, mais avec l’impossibilité totale de l’être. Je n’avais pas de personnes en référence, je n’avais pas de films, je n’avais rien. Donc il y avait d’un côté ma vie homo, de l’autre ma vie hétéro, et j’avançais avec ces deux vies côte à côte, sans aucun lien. Je me suis dit qu’il fallait que je parte, très vite, j’avais envie de théâtre, de cinéma.

On parle pas mal de sororité, peut-être moins de l’adelphité gay/lesbienne, cette idée d’une alliance politique, créative, esthétique entre les deux communautés. Vous vous reconnaissez là-dedans ?

L : Bien sûr, j’ai beaucoup d’amis homosexuels masculins depuis toujours. Mais j’ai l’impression que nous les lesbiennes on a toujours été un peu plus sympas avec nos comparses gays, plus qu’ils ne l’ont été avec nous. Au cinéma, il y a des femmes qui ont su raconter la sexualité des garçons qu’ils soient homos ou hétéro, mais les cinéastes gays n’ont pas souvent montré les lesbiennes. Act Up, Stonewall énormément de gouines et de meufs trans étaient là aussi. Quand je suis à la porte d’une boîte de nuit et que la soirée est à destination d’un public pédé, parfois on ne me dit même pas bonjour, encore aujourd’hui. Alors que dans nos fêtes gouines, les pédés ont toujours été là en nombre.

N : J’aime beaucoup parler de ça avec Laura, parce que je n’ai pas eu le même truc militant. Je sais que ça va m’éclairer, et je trouve ça nécessaire de se raligner tous ensemble. J’essaye de penser comment nos récits peuvent insuffler quelque chose de politique, voir comment inclure des non-concernés par ces questions-là. 

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Vous avez en commun de représenter la sexualité dans l’espace public, dans l’idée de le réenchanter, l’investir.

N : J’ai grandi avec l’idée d’espaces périphériques, au même titre que ma sexualité. C’était schizophrénique : il y avait les lieux de l’hétéronormativité, comme le stade de foot, et tout à coup derrière ce stade, on trouvait des préservatifs. Ado, tu marches autour, et ça te pose question, tu te rends compte qu’il y a des mondes parallèles, avec des frontières bien closes. J’ai l’impression que dans ce qu’on écrit, il y a la volonté de casser ces frontières.

L : Tu dis « casser ces frontières », et je pense qu’on entend aussi raconter la fracture entre l’ordre patriarcal, la norme, et ce qui fait évènement différemment. Dans Boléro, tu racontes comment un désir emporte tout un village, et ça passe par la danse. Ce n’est pas ce que nous spectateurs attendons : la sexualité, tu la déplaces. Je trouve ça aussi dans ce que j’écris aujourd’hui, où l’on se masturbe dans la forêt et l’on jouit parce qu’on entend le bruit d’un arbre qui tombe – et ça n’est pas simplement parce qu’on s’est bien débrouillé pour jouir. C’est décalé, ça passe par un autre chemin, un autre imaginaire.

Vous avez d’autres désirs d’exploration ensemble ?

N : À Los Angeles, ça a été assez fondateur. Nos discussions ont été arborescentes, elles ont ouvert plein de choses. Evidemment faire des films ensemble, c’est quelque chose qui sera là. Ce qui est beau, c’est que tout ça est possible parce qu’il y a eu ces quelques heures dans une voiture banale dans laquelle nous avons traversé la Californie.

L : Une voiture sans histoire qui en a entendu beaucoup.

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